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esthétique au moins, par nature et par définition, M. André Hallays m’apparaît comme le type achevé du conservateur. Mais à la différence — qui n’est pas petite — de ses homonymes en politique, il conserve avec énergie, au besoin avec violence. Il a la passion, j’allais écrire la fureur, une sainte fureur, de conserver. Il connaît, il dénonce tous les maux dont certains mots nous menacent : « Moderniser. On sait ce que ce mot-là cache de démolitions et de ruines… Il faut faire du nouveau. C’est en vertu de cette maxime inepte qu’on déracine les vieux ormeaux… et beaucoup d’autres choses encore. » Ailleurs, il fait bon l’entendre parler des « stupides amis du progrès, » de « nos malfaiteurs contemporains, » des « amateurs éclairés » et des « réparations dans le style. » Enfin à propos des attentats consommés par un affreux politicien contre la beauté d’Avignon : « La laideur de ce que nous créons, à Avignon comme ailleurs, devrait nous inspirer une pieuse admiration pour les œuvres de nos ancêtres. » Gardien du passé, de tout le passé de la France, autant il a foi dans la tradition, autant il doute et se défie du progrès. Ce n’est pas que par moments il craigne de se trop défier et ne doute même de son doute. Alors un scrupule le prend, qu’il nous confesse. Il n’est pas très loir de pardonner à l’automobile. Entre la Rochelle et la Palice, entre la vieille cité et son havre moderne, quand il voit la plaine autrefois déserte se couvrir de maisonnettes et toute une ville se former, il avoue, à mi-voix, qu’ « un pareil spectacle est passionnant, plus passionnant qu’une rêvasserie » de promeneur ou d’artiste. Mais l’un et l’autre bientôt se reprennent, se rassurent, et de nouveau se passionne, — et nous avec eux, — non pour des rêvasseries, mais pour la vue, réelle et précise, des beautés, de toutes les beautés de notre patrie.

Pour les yeux et pour l’âme du voyageur, il est des horizons préférés, des lieux élus. L’Alsace fut toujours au premier rang de ceux-là. Après avoir longtemps redouté Tanière tristesse d’un pèlerinage là-bas, quand c’était si loin ! — M. Hallays voulut cependant goûter ; savourer cette amertume. Elle lui fut salutaire et fortifiante. Sur place, et quelle place sacrée ! — il éprouva la vérité, la vertu des principes qui lui sont chers : la liaison des âges, des idées et des sentiments. Tout lui donna, plus émouvante que nulle part ailleurs, « cette