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Je t’ai bien regardée : au fond de tes prunelles
Je n’ai lu ni remords, ni souvenir meurtri,
Et, comme tu sentais mes yeux errer sur elles,
Grave, tu t’es tournée, et puis tu m’as souri.

Tu m’as souri d’un doux sourire sans tristesse,
Jeune encore, chargé d’ineffables attraits,
Et, prenant en pitié mon doute et ma détresse,
En mots simples, tu m’as confié tes secrets.

Je connais désormais que tu n’es point perfide,
Qu’on ne risque nul sortilège à t’approcher,
Que ceux-là seulement dont l’âme est molle et vide
S’émeuvent de sentir ton souffle les toucher.

Tu ne conseilles point d’abdiquer ni de craindre,
Mais tu veux que, pour être impassible et vainqueur,
On sache définir jusqu’où l’on veut atteindre ;
Tu fais que l’on voit clair jusqu’au fond de son cœur.

Chacun de tes soleils luit comme une victoire ;
Tu ne laisses point perdre un seul de leurs rayons,
Et ta splendeur est plus douce et plus méritoire
Que celles que l’été prodigue en tourbillons

L’horizon défeuillé par toi se désencombre ;
Les mirages ardents qui dansaient dans les cieux
S’affaissent, absorbés par ta clarté plus sombre,
Et tu désires moins, mais tu sais vouloir mieux.

C’est pourquoi, souriant à la lueur qui joue
De ton pâle visage à tes fauves cheveux,
J’ai posé dans ta main fraîche mes doigts fiévreux,
Et j’ai mis sans trembler mon baiser sur ta joue…


MAURICE LEVAILLANT.