Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 56.djvu/166

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Tes instants, comme autant de vases furent pleins,
De bonheurs odorants… Cependant, tu te plains…

Tu te plains, sans qu’un mot précis lasse ta bouche ;
Tu te sens à la fois inquiète et farouche…

Tu es seule… Sois brave : accueille sans rougir
L’émoi nouveau par qui ton cœur va s’élargir,

Et, tandis que le jour s’alourdit et s’efface,
Ose enfin contempler ton désir face à face…


II


Parce que le soir las mêle à ton âme lasse
Un peu de sa langueur et de sa volupté,
Que ton corps, aux bras lents de l’ombre qui l’enlace,
Rayonne encor des feux dont le brûle l’été ;

Parce que, dans la chambre où le silence vibre,
Tu t’étires, soudain demi-nue, en pâmant,
Regrettant tes rigueurs, et d’être seule et libre,
Sans un nom sur ta lèvre à baiser en dormant ;

Parce qu’insomnieuse et lourde, à la fenêtre
Tu penches sur la nuit ton anxieux loisir,
Et que chaque parfum qui rôde et te pénètre
Multiplie en tes nerfs le frisson d’un désir ;

Parce que tu te sens grave, et que, dévêtue
Des confiants orgueils dont te parait le jour,
Tu t’animes, pareille à l’antique statue,
Tu te crois repentie et prête pour l’Amour…

Détrompe-toi. L’Amour a d’autres exigences
Que la fièvre d’un soir ou l’émoi d’une nuit ;
Il se venge âprement des longues négligences
Et sait remplir les cœurs d’un plus durable ennui…