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Il y a loin de cette armée, telle que le livre de M. Lesquier nous la révèle, à celles que César et Antoine avaient amenées à leur suite dans le pays. Les soldats romains de l’époque républicaine étaient des étrangers qui venaient pour un temps camper à Alexandrie et dans le Delta, qu’on y laissait le moins possible, qui repartaient dès que la victoire complète rendait leur présence inutile ; ils n’entretenaient avec les habitants de la province que des rapports de vainqueurs à vaincus. Tout autres nous apparaissent les légionnaires et les auxiliaires dont se compose la garnison au Ier et surtout au IIe et au IIIe siècles de notre ère. Ils appartiennent à l’Egypte par leur naissance, ils en vivent, ils y meurent ; ils ne connaissent rien du reste du monde romain ; leur horizon se borne à la vallée du Nil. En théorie, ce corps d’occupation semble une partie de l’armée nationale ; en fait, il est devenu une milice provinciale.

La modification serait intéressante, même si elle se bornait à l’Egypte ; mais il n’en est rien. Petit à petit, un peu plus tôt, un peu plus tard, suivant les cas, les armées réparties dans les autres régions de l’Empire subirent la même loi et se transformèrent pareillement. Tout ce que nous savons d’elles nous permet de l’affirmer. Du jour où Rome sentit les provinces définitivement acquises, elle leur remit le soin de fournir elles-mêmes les éléments de leur défense, sous son commandement et sous son contrôle. Par-là elle simplifiait singulièrement la tâche du pouvoir central ; par-là aussi, à son insu, elle préparait les défections futures et rendait plus aisée dans un avenir lointain la désagrégation du grand tout que constituait l’Empire romain.


R. CAGNAT.