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Gemella, envoie-moi des friandises et un, pain d’une artabe de • froment. » Même recommandation à son neveu, nommé Epagathos : « Achète deux petits porcs pour les engraisser a la maison ; nous aurons à sacrifier des porcs le jour anniversaire de Sabinus. N’oublie pas de le faire. Embrasse Orsénouphis, Héron et tous ceux de la maison. Envoie-moi à Aphroditopolis un collier de taureau fort et large ; car celui que nous avions est cassé et le bouvier en a besoin tout de suite. »

Mais voici que le même Epagathos a la maladresse de laisser mourir deux porcs ; aussitôt le ton change ; ce parent attentionné devient intraitable : « Je te blâme très vivement d’avoir perdu deux porcs par suite de la fatigue de la route, alors que tu avais dix animaux que tu pouvais atteler pour les amener. Je n’ai pas à blâmer l’ânier Héraclidès, puisque, dit-il, tu lui as prescrit de conduire à pied les porcs. Je t’ai déjà recommandé, plus que de raison, de rester deux jours à Dionysias pour acheter 20 artabes de lotus. On dit qu’on l’aura à Dionysias pour 18 drachmes. A quelque prix qu’il soit, achètes en 20 artabes ; c’est l’essentiel. Dépêche-toi d’inonder toutes les plantations d’olivier. Suis bien mes instructions. Adieu. »

Ce mélange de rudesse impérative et d’esprit de famille caractérise toute la Correspondance ; il convient bien à un vieux grognard devenu fermier. Aisés comme Bellenus ou plus modestes, tous ces soldats paysans d’Egypte devaient être taillés sur le même modèle.

Pour rendre leur situation plus favorable, les empereurs leur accordaient encore d’autres privilèges. Non seulement ils échappaient à l’impôt foncier, mais ils n’étaient pas soumis aux droits de douane et aux péages ; les municipalités ne pouvaient les contraindre à accepter celles des fonctions qui entraînaient des corvées ou des charges onéreuses ; ils restaient aptes, au contraire, à gérer les magistratures honorifiques et à obtenir les sacerdoces qui augmentaient le crédit et la considération. Aucune obligation militaire ne compensait pour l’Etat tous ces avantages ; les vétérans n’étaient tenus à aucun service dans la localité où ils s’étaient retirés. On ne leur demandait que de propager autour d’eux, par leur exemple et leur parole, le respect de la puissance romaine et l’attachement à sa civilisation.