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enseignes en tête, dans les pays neufs, s’était clos à peu près avec Auguste. Les empereurs n’avaient pas renoncé pourtant à l’ancienne politique. Ils tenaient toujours pour utile d’assurer la mise en valeur des terres incultes, de récompenser la fidélité des anciens soldats par des concessions agraires, de répartir dans les provinces des gens capables de les gagner à la civilisation romaine et de les défendre, au besoin, contre toute surprise. Le principe restait le même ; les moyens employés pour le mettre à exécution avaient subi seulement quelques modifications. En Égypte, l’Etat mettait à la disposition de chaque homme à sa libération, soit des terrains fertiles qu’il donnait à l’adjudication, soit des terrains en friche, qu’il vendait à bas prix ; et, ce qui en augmentait la valeur, ces concessions échappaient à la loi commune pour les impôts : elles jouissaient d’un régime de faveur. Devenait ainsi propriétaire qui voulait.

Dans bien des cas, même, il n’était pas besoin pour les soldats de recourir ainsi à la bienveillance officielle ; ceux qui ne possédaient pas de propriétés familiales, venues à eux par héritage ou par mariage, achetaient, au cours de leur service, sur leurs petites économies, des lopins de terre où ils installaient leur famille ; la fin du service arrivée, ils ne songeaient plus qu’à les faire valoir.

Un de ces types de vétérans-colons est un certain Lucius Bellenus Gemellus, dont nous possédons une volumineuse correspondance, volumineuse relativement, cela s’entend : treize lettres recueillies à Euhêméria, du nôme Arsinoïte. C’est là qu’après avoir servi dans une des légions égyptiennes à la fin du Ier siècle de l’ère chrétienne, il avait pris sa retraite ; il y avait des terres et un moulin à huile, ce qui ne l’empêchait pas d’être à la tête de trois ou quatre domaines ailleurs. Ses lettres sont écrites d’une main tremblante, car il était âgé alors de soixante-sept ans ; elles sont assez incorrectes ; mais sa volonté est demeurée ferme, surtout s’il s’agit de ses intérêts. Nous le voyons occupé de deux soucis : célébrer dignement les fêtes des dieux ou les anniversaires de naissance de ses enfants et régler minutieusement l’exploitation de ses propriétés. A son fils Sabinus il écrit, après des recommandations relatives à la ferme : « Achète dix coqs au marché et envoie-les moi pour les Saturnales ; pour le jour de naissance de