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tout Paris, un républicain plus « éprouvé » que celui-là. Quoiqu’il eût été, de son propre aveu, commandant du bataillon de la section de la Fraternité, jamais homme ne fut plus timide, jamais figure plus effacée ; même après les longues et fréquentes conversations dont il gratifia, vers 1837, Beauchesne, le plus célèbre des historiens de Louis XVII, à qui Gomin « révéla les vieux troubles de son âme en mettant sa conscience à découvert, » on ignore tout, absolument tout de son passé, si ce n’est qu’il habitait rue Saint-Louis-en-l’Isle et que son père était tapissier. L’histoire de Gomin pourrait finir là ; si l’on néglige tout ce que les chroniqueurs lui ont attribué, on ne trouve que désir de passer inaperçu, réticences, sournoiseries et contradictions. On ne sait même pas qui le signala au Comité de sûreté générale, ni comment expliquer sa nomination. Madame Royale parle de Gomin comme d’un très brave homme auquel l’état du petit prisonnier causa, dès l’abord, tant de peine « qu’il voulut tout de suite donner sa démission ; » il resta « pour adoucir les tourments du malheureux enfant, » s’astreignit à l’amuser chaque jour durant quelques heures et « le fit descendre dans sa chambre, en bas, dans le petit salon ; » — « ce que mon frère aimait beaucoup, ajoute-t-elle, parce qu’il aimait à changer de lieu ; » — toutes choses que la princesse ne sait que par Gomin lui-même : il ne raconte que ce qu’il veut et l’on serait plus curieux de connaître les artifices dont se sert cet homme si bon pour détourner la prisonnière du désir de voir celui qu’elle croit être son frère. Si l’enfant aime tant à « changer de lieu, » que ne lui fait-on gravir les marches qui séparent son logement de celui de la princesse, et pourquoi Gomin s’associe-t-il docilement, dès le premier jour de son service, à cette rigoureuse consigne d’une séparation que personne n’a imposée ; puisque, au contraire, l’ordre est de nouveau donné de réunir les deux enfants ?

Ceci advint le 19 décembre : ce jour-là trois membres du Comité, Mathieu, Reverchon et Harmand de la Meuse se présentent au Temple « afin de constater l’état du service ; » l’un d’eux, Harmand, a laissé de cette visite un long récit qui serait un document de première importance s’il ne l’avait écrit vingt-deux ans plus tard, à l’époque de la Restauration, et très soucieux alors de ne rien dire qui pût déplaire au pouvoir. Cette relation devient donc éminemment suspecte par son