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Mme Atkins, étant parvenue naguère à pénétrer dans le cachot de la Reine lorsque celle-ci était à la Conciergerie, avait juré à la souveraine de tenter, par tous les moyens possibles, la délivrance du Dauphin. Rentrée en Angleterre, elle s’occupa activement à remplir sa promesse, et peut-être le fit-elle avec plus d’ardeur et de dévouement que de méthode. Mme Atkins était intimement liée avec le comte Louis de Frotté, le valeureux promoteur des insurrections de Normandie ; elle avait aussi « engagé » dans sa tentative le baron de Cormier, ci-devant procureur au présidial de Rennes, personnage déterminé et remuant, en dépit de sa goutte et de son embonpoint. Tels étaient les deux confidents de la généreuse Anglaise, les deux fortes têtes du complot. Or, après nombre de pourparlers, de tâtonnements, de projets avortés, de combinaisons aussi vite abandonnées que conçues, au début de ce mois d’octobre 1914, Cormier jeta à celle qui l’employait ce cri de triomphe : « Il faut que je vous écrive un petit mot à la hâte… Je crois pouvoir vous assurer, vous affirmer bien positivement que le Maître et sa propriété sont sauvés ; et cela indubitablement… Partagez ma sécurité ; je ne peux rien détailler ; ce ne peut-être qu’entre deux yeux que je pourrai vous ouvrir mon cœur… » L’heureuse nouvelle qu’il annonçait en ces termes ambigus à Mme Atkins, il la répétait quelques jours plus tard à Frotté ; on en a la preuve par une lettre de Frotté lui-même : « Vous êtes le seul à qui je parlerai avec franchise, lui dit Cormier,… je vous parle comme à un ami dont je connais la loyauté et les sacrifices… Tout est fini ; tout est arrangé ; en un mot je vous donne ma parole que le Roi et la France sont sauvés… et nous devons être heureux. »

Elles sont apitoyantes les angoisses, les espérances, les déceptions et les joies de ces naïfs conspirateurs qui, s’ingénièrent et s’évertuèrent, s’imaginant jouer leurs têtes, gaspillant par milliers les guinées de Mme Atkins, achetant les consciences, frétant des navires, corrompant les geôliers et se consumant en trépignements d’impatience, au profit d’un enfant qui n’est pas le petit Roi pour le salut duquel ils ont dépensé tant d’efforts. Après toute une année d’atermoiements, de déboires, de certitudes du succès prochain, de déceptions et de perplexités, Cormier sera obligé d’avouer à la noble Anglaise : « Nous avons été trompés ! Cela est malheureusement trop certain… » Et il