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qu’il tenait en haute estime, le soin « de recouvrer des sommes dues à la famille royale. » En retour de l’aide pécuniaire apportée à « l’opération » de thermidor, Petitval avait obtenu que le Dauphin séjournerait chez lui, au château de Vitry ; Barras et « ses amis » y avaient consenti à la condition que l’enfant « demeurerait toujours à la disposition de la Convention » et que des précautions seraient prises « pour qu’on ne put l’enlever. » Si on ne l’avait pas laissé au Temple, c’est « parce qu’il ne pouvait pas y recevoir les soins que réclamait son état, » et, d’autre part, on ne pouvait rendre le fils de Louis XVI à une liberté complète ; Barras l’avait déclaré nettement « aux représentants de la droite, à la veille de thermidor, » alors, sans doute, qu’ils réclamaient la délivrance du petit Roi comme prix de leur coopération.

Cet aveu de Barras est très favorablement entendu par ses collègues du Directoire ; nul n’en paraît surpris ni formalisé : il ne leur apprend rien qu’ils ne connaissent et qu’ils n’approuvent. L’intègre La Revellière estime « qu’il était contraire au principe républicain d’enfermer les enfants de Louis XVI ; cette mesure ne se justifiait à aucun point de vue ; on n’avait pas à faire supporter à ces enfants les fautes de leurs parents ; leur emprisonnement ne pouvait s’éterniser ; on eût toujours été dans l’obligation d’y mettre un terme ; » et Rewbel opine également, disant : « J’ai la prétention d’être aussi bon républicain que quiconque ; mais je n’aime pas beaucoup que l’on persécute les femmes et les enfants. » Et La Revellière conclut : « On s’aperçoit aujourd’hui combien la politique des anciens comités de gouvernement a été funeste ; tous nos embarras viennent de cette politique[1]. »

  1. La séance secrète se poursuit sur d’autres sujets auxquels nous reviendrons plus tard. Mais avant de quitter ce procès-verbal, il n’est pas inutile de remarquer sa précision : la plus insignifiante interruption des interlocuteurs y est notée ; manifestement, cet entretien a été recueilli par un sténographe, aucun des cinq directeurs n’ayant pu s’astreindre à cette besogne. Voilà donc six personnes, dont un subalterne, instruites du transfèrement, du Temple à Vitry, d’un enfant qu’on a cru d’abord être le Dauphin, mais sur l’identité duquel elles conçoivent maintenant des doutes. Elles supposent donc que le fils de Louis XVI a disparu. Elles savent, en tout cas, qu’il n’est plus détenu au Temple. Comment ce secret ne fut-il pas ébruité ? Comment La Revellière ne fait-il pas, dans ses Mémoires, allusion à cet événement ? Comment n’en est-il pas parlé dans les Mémoires sur Carnot ? Comment, à l’époque de la Restauration, alors que Letourneur était exilé à Bruxelles, ne l’a-t-il pas confié à ses anciens collègues, comme lui proscrits et comme lui pleins de rancunes contre Louis XVIII ? Et quelle imprudence commettait ce roi en exilant des hommes qui possédaient le secret de son usurpation ! Dans l’histoire de Louis XVII, chaque fois que sort un document se présentant comme étant précis et probant, on est obligé de le tenir en suspicion, tant il soulève de problèmes plus insolubles que ceux qu’il élucide.