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inévitable qui résulterait de sa réunion avec un inconnu. Il était donc de toute nécessité de ne point laisser vide au Temple la place de l’enfant qu’on allait en extraire, et d’y mettre un nouveau substitué qu’on choisirait plus taciturne encore que le premier.

De cette combinaison louche on ne connaît aucune circonstance : la date de la translation n’est pas indiquée ; mais on la doit fixer antérieurement au 14 fructidor, — 31 août 1794. Quant à sa réalité, il faudrait, pour la mettre en doute, récuser un document dont il est difficile de contester l’autorité et qui n’est autre que le procès-verbal d’une séance secrète du Directoire[1] au cours de laquelle on voit les cinq Directeurs, Carnot, Rewbel, La Revellière-Lepeaux, Letourneur et Barras, s’entretenir de l’enlèvement du Dauphin « comme d’un fait avéré et approuvé par eux tous. » Tous cinq ont fait partie, à diverses époques, des Comités de la Convention ; ils connaissent donc à fond les dessous de la politique et les intrigues de tout genre, nées, depuis plusieurs années, du conflit des partis tour à tour triomphants et vaincus. Or, en cette séance secrète, ils parlent entre eux d’un certain banquier, nommé Petitval, très honnête homme selon l’avis unanime, à la caisse duquel Barras puisa largement « quand il fallut préparer la révolution thermidorienne. » Il avait, en effet, pour abattre Robespierre, « acheté » un certain nombre de Conventionnels, et Petitval l’avait sûrement guidé en cette délicate manœuvre, étant possesseur de la liste de ceux des représentants du peuple « qui recevaient des subsides de l’Angleterre. » Avant de mourir, Louis XVI avait remis ses instructions concernant son fils à M. de Malesherbes ; celui-ci, à son tour, avait confié à Petitval,

  1. Celle du 28 avril 1796. Le procès-verbal de cette séance a été intégralement publié par la Revue historique, mai-juin 1918. Le titre seul de cette Revue, ainsi que les noms de ses directeurs, sont des garanties suffisantes de l’authenticité des documents qu’elle reproduit ; cependant celui que nous analysons ici est en si grand désaccord avec ce que l’on croyait savoir de l’histoire révolutionnaire, qu’on regrette de ne point connaître à quel fonds d’archives publiques ou privées il est emprunté. Je ne doute point de la bonne foi de l’éditeur de ce procès-verbal ; mais celle de Barras demeure éminemment suspecte : n’était-il pas homme à conserver dans ses dossiers des pièces « de fantaisie, » afin que leur publication posthume le vengeât des adversaires que, par prudence, il n’avait osé attaquer de son vivant ? En ce qui concerne la question Louis XVII, ce document s’adapte parfaitement à ce que nous connaissons des agissements de Barras au Temple ; néanmoins, jusqu’à ce que la lumière qu’on nous promet soit complètement faite sur son authenticité, on ne doit l’utiliser que « sous réserve. »