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fréquemment qu’il n’est strictement indispensable au bon fonctionnement du service ?

Qu’on n’imagine pas que s’amorce ici une idylle romanesque dont la seule supposition serait aussi imaginaire que déplacée ; mais il importe de connaître l’altitude affectée par Laurent quand Marie-Thérèse lui parle de son frère. Etant admise cette espèce d’intimité, née forcément entre la jeune fille et son surveillant, elle lui demande certainement à voir le Dauphin. Il ne peut arguer de sa consigne pour repousser cette requête, puisque Barras, à sa première visite, d’autres Conventionnels plus tard, ont donné l’ordre qu’on réunisse le frère à la sœur et qu’on les fasse promener ensemble. La clémence règne : en ce thermidor ensoleillé où s’ouvrent toutes les prisons de France, qui protesterait si, durant une heure ou deux, les enfants du tyran jouaient ensemble sous les marronniers du jardin ? Comment donc Laurent résiste-t-il aux prières de la prisonnière ? Puisqu’il est seul maître à la Tour, puisque nul ne contrôle ses actes, puisqu’il ne transgresserait aucun règlement en leur permettant de s’embrasser, comment a-t-il le courage de ne point leur accorder cette immense joie ? Qu’a-t-il pu dire à Marie-Thérèse pour se débarrasser de ses instances ? Elle note, dans son Journal, qu’il témoigne de la pitié au petit prince, qu’il le lavé, qu’il le baigne ; elle sait qu’il lui procure un lit propre, mais elle sait aussi que le pauvre petit est « toujours seul dans sa chambre » et qu’ « il resta ainsi durant tout l’été. » « Laurent, écrit-elle, entrait chez lui trois fois (par jour) ; mais, par peur de se compromettre, il n’osait pas (sic). » Ainsi, voilà qui est avéré : ou bien Laurent ment à Madame Royale ; il lui laisse croire que rien n’est changé depuis le 9 thermidor, que la Terreur sévit toujours, et qu’il risquerait l’échafaud s’il lui permettait de voir son frère ; il ne dit rien des ordres qu’il a « de réunir les Enfants de France ; » — ou bien ces ordres ont été révoqués aussitôt que reçus, et on en revient toujours au même mot : Pourquoi ? sinon parce qu’on ne peut montrer, surtout à la princesse, l’enfant qu’on détient. Laurent doit mentir encore aux gardes nationaux, aux gens de service qui, eux aussi, s’étonnent de cette réclusion anormale ; ils ne se laissent pas duper comme Madame Royale ; mais, à ceux-là, le créole raconte que le petit Capet est trop malade pour profiter des autorisations accordées : comment parvient-il