Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 56.djvu/124

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

impuissance, n’en avait-il pas eu la nette vision le jour où il s’était vu frustré, alors qu’il croyait le saisir, de l’enfant royal, but secret de sa politique ? Conjecture qui semblera paradoxale, — fantaisiste, peut-être, — et que les historiens n’ont pas jusqu’ici envisagée, parce qu’aucun d’eux n’a encore évalué justement l’importance de ce bambin de neuf ans qui, comme on l’a dit, ne pouvait sortir de sa prison « sans être le premier des Français, le Roi. »


Le 8 thermidor, Dorigny, officier municipal de la section de Popincourt, disait à des citoyennes de son quartier : « Vous seriez bien étonnées si, demain, on vous proclamait un Roi. » Le jour suivant, Robespierre tombait et la Commune de Paris s’effondrait avec lui. Barras, porté par les circonstances au poste de général en chef de l’armée de l’intérieur et du commandement de Paris, avait aidé au triomphe de la Convention : il se trouvait hériter soudainement de l’autorité prépondérante de celui qu’il venait d’abattre, et il semble bien qu’il ne tarda pas d’une heure à viser le même objectif. Comme tous ceux qui l’ont précédé au gouvernail du vaisseau ballotté de la Révolution, il met le cap sur le Temple, afin de s’assurer de la personne du petit Capet. Le bruit de l’évasion du jeune prince s’est répandu pendant la nuit et a trouvé des crédules jusque dans les Comités de la Convention. Le 10, à six heures du matin, Barras est à la prison : il ordonne qu’on lui montre le fils de Louis XVI, Enfin ! On va donc connaître les conditions de cette séquestration de six mois, et percer l’obscurité qui la couvre…

Non ! On ne saura rien. Voici textuellement la courte relation que Barras a laissée de cette visite : « Je fus au Temple, je trouvai le jeune prince dans un lit à berceau au milieu de sa chambre, il était assoupi ; il s’éveilla avec peine ; il était revêtu d’un pantalon et d’une veste de drap gris ; je lui demandai comment il se trouvait et pourquoi il ne couchait pas dans le grand lit ; il me répondit : « Mes genoux sont enflés ; et me font souffrir aux intervalles lorsque je suis debout ; le petit berceau me convient mieux. » J’examinai les genoux ; ils étaient très enflés, ainsi que les chevilles et que les mains ; son visage était bouffi, pâle ; après lui avoir demandé s’il avait ce