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objets interdits par un arrêté de la Commune, peut-il supporter, à six reprises, le spectacle du répugnant martyre, sans avoir le courage d’élever la voix au nom de l’humanité ? Et le maçon Barelle qui, lorsque le fils de Louis XVI était l’élève du cordonnier Simon, s’est révélé si affectueux que le Dauphin l’appelait, dit-on, « son bon ami, » Barelle qu’on a vu bien des fois amuser le petit prisonnier, doit avoir le cœur déchiré à l’odeur méphitique du cloaque où est implacablement confiné l’enfant, qu’il ne pourra apercevoir qu’au travers d’un guichet grillagé. Et Simon qui, de janvier à la fin de mai 1794, reparaîtra cinq fois à la prison où il a, durant un temps, fait la loi ? Admet-on qu’il dissimulera sa présence à son ancien pupille, qu’il ne lui dira pas un mot, qu’il ne s’étonnera pas, tout au moins, s’il ne s’en révolte, de l’état misérable où il retrouvera son petit Charles, naguère si vivant et si vigoureux ? Le silence de tant de commissaires, acceptant de participer à l’atroce et lent supplice d’un enfant auquel ils ont maintes fois témoigné de l’intérêt, serait un indice déjà probant que la réclusion du prisonnier du Temple ne fut pas telle qu’on nous l’a si souvent décrite. Ils ont peur, ces municipaux, objectera-t-on ; ils redoutent leurs maîtres Chaumette et Hébert ; mais, outre que cette renonciation coupable serait la condamnation de toute la Commune, Chaumette et Hébert n’y régneront plus longtemps, et, même après leur chute, nul ne parlera.

Si l’attitude des commissaires, étonne, celle de l’enfant reclus suggère plus de scepticisme encore : on a vu de quels soins le Dauphin était l’objet dès qu’il souffrait du moindre malaise et avec quelle assiduité le visitaient des médecins experts et attentifs. Par une coïncidence frappante, ces visites cessent précisément « dans les premiers jours de janvier, » à l’époque même où on a résolu de soustraire l’enfant à tous les regards. Avait-on attendu qu’il fût guéri pour le martyriser. On l’admet ; alors sa santé est complètement rétablie : si celui qu’on enferme est le petit Capet, turbulent, vivace, volontaire, « gâté, » a dit l’un, « robuste et fougueux, » écrit un autre, si c’est l’enfant que la population du Temple a vu sauter et courir sous les arbres du jardin et entendu chanter tout le jour, il ne va pas, dès la première heure de cachot, changer subitement de caractère et se résigner à l’isolement. Cloîtré dans l’ancienne chambre de Cléry, la plus sombre et la plus