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Lamartine en aidant à trouver en lui ce qui est lui, et n’est pas en même temps Chênedollé, Rousseau ou Ossian.

Mais surtout l’érudition du XIXe et du XXe siècle a été nécessaire pour défaire le mauvais ouvrage qu’avait fait le poêle vieilli, et pour restituer dans leur discrète pureté les Méditations de 1820. Lamartine ayant pris la peine dans Raphaël dans les Confidences et dans les Commentaires de 1849 de nous tromper sur la signification de ses poèmes, de les annexer à sa biographie, et de monnayer en prestige personnel la beauté tout idéale de ses vers, il a bien fallu ouvrir une enquête, vérifier toutes ses assertions, signaler toutes ses inexactitudes. C’est à quoi ont servi les recherches, parfois si minutieuses, de Félix Reyssié, d’Emile Deschanel, de Léon Séché, de M. René Doumic, de M. Pierre de Lacretelle, de M. Jean des Cognets, et de bien d’autres, dont j’ai mis les travaux à profit dans mon édition des Méditations.

Tous les documents qu’on a publiés, tous les faits biographiques qu’on a précisés, concourent avec les découvertes de sources et d’influences, à séparer l’homme du poète et la réalité de la littérature : Non que Lamartine ne fût pas sincère : rarement on le fut davantage en vers. Mais enfin la sincérité de l’inspiration poétique n’est pas l’exactitude d’un chartiste ; et l’idéal, qui est pour Lamartine l’objet de la création littéraire, a précisément pour caractère de n’être pas présent dans l’existence journalière.

Cette distinction faite, l’œuvre qui ne se laissera plus interpréter dans son rapport étroit à un homme, à une vie, reprendra toute sa valeur générale et humaine.

En fait, le simple lecteur n’a toujours cherché qu’en lui-même la vérité de ce qu’avait exprimé le poète. De ce fait l’érudition a découvert le fondement rationnel, en a fait un droit. Quand les érudits n’auraient abouti qu’à autoriser le jugement du public et qu’à justifier les braves gens de lire un livre sans penser à l’auteur, ils n’auraient pas travaillé en vain ; et l’on pourrait, pour ce service, être indulgent à leurs erreurs, ou, si vous voulez, à leurs manies.


GUSTAVE LANSON