commencement de la retraite. On grossissait maintenant avec frayeur la puissance de cette Amérique que l’on raillait encore quelques semaines auparavant. Des histoires fantastiques se répandaient sur les exploits des tanks.
Et enfin le respect de l’autorité, cette dernière et suprême armature de l’Allemagne, s’effondrait sous les coups du désespoir. On ne parlait plus de l’Empereur et des princes qu’avec une sorte de rage. La grande duchesse de Weimar avait annoncé sa visite à Creuzburg. Témoin de la colère provoquée par cette nouvelle, je ne m’étonnai pas du contre-ordre qui vint quelques jours plus tard. Partout j’entendais les gens déclamer contre la guerre, plaisir pour les grands et boucherie pour le peuple, contre les exemptions d’impôts dont jouissaient les princes, contre l’arrogance des fonctionnaires et des officiers. Nul d’ailleurs ne songeait à la révolte. Ils se laissaient aller sans chercher en eux-mêmes le remède à leurs maux. Les autorités civiles, conscientes de la disparition de leur prestige, n’agissaient plus. Mais, grâce à l’état de siège, les Etats-majors restaient tout-puissants et sauvaient encore les apparences. L’Allemagne ressemblait à un corps épuisé qui n’est plus maintenu debout que par son armure.
Et cette armure elle-même allait se défaire. On apprit un beau matin la révolte des matelots de Kiel et l’insurrection gagnant aussitôt de proche en proche, s’étendant à Hambourg, à Brème, à Lubeck, à Hanovre. Cette armée, le fameux rocher de bronze sur lequel reposait l’édifice de la puissance allemande, cette armée en faveur de qui toute l’éducation morale et physique de la nation était organisée, cette armée invincible, celte armée modèle s’abandonnait à son tour. C’était le dernier coup porté au système, l’effondrement de tout le régime. On avait atteint le fond du fossé.
Depuis quelques semaines, ma femme et mon jeune fils avaient enfin obtenu l’autorisation de venir me rejoindre a Creuzburg à la condition d’y demeurer jusqu’à la fin de la guerre. Ils y étaient arrivés le 8 août 1918. Je les avais comparés à la colombe de l’arche, car leur arrivée coïncidait avec la débâcle, désormais certaine, de l’Allemagne. Tous les soirs, nous constations,