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SOUVENIRS DE CAPTIVITÉ EN ALLEMAGNE.

dans les ports cette flotte allemande qui avait coûté tant de milliards et fait naître tant d’espoirs de conquête.

Vers le milieu de juillet 1917, l’esprit public était retombé au niveau où je l’avais vu à Iéna, vers la fin de l’année précédente. On ne croyait plus aux sous-marins et pour comble de malheur, les zeppelins, eux aussi, avaient failli à leur tâche. Cependant les vivres se faisaient de plus en plus rares. On ne trouvait plus de cuir, on commençait à enlever les cloches des églises. La mortalité devenait effrayante chez les vieillards et chez les enfants. Les soldats revenant en congé racontaient d’abominables histoires sur la guerre de tranchées et l’armement formidable de l’ennemi. On se raccrochait à tous les espoirs. Périodiquement circulaient des bruits de paix particulière, tantôt avec la France, tantôt avec la Russie, tantôt avec la Belgique. D’autres attendaient le salut du congrès socialiste de Stockholm. Tout le monde salua avec enthousiasme la résolution votée, au mois de juillet, par le Reichstag, d’engager le gouvernement à conclure une paix sans annexions et sans indemnités. J’ai eu à Creuzburg l’impression très nette que la population tout entière, à l’exception du super-intendant, des instituteurs, du secrétaire de la poste et du pharmacien, en était arrivée à ne plus rien désirer que la paix, et la paix à tout prix. On ne se gênait pas pour déclarer devant moi qu’il fallait abandonner la Belgique, que c’avait été une grande faute d’annexer l’Alsace-Lorraine, qu’elle n’était qu’une source de déboires et que, mon Dieu ! on la laissât à la France, puisque la France y tenait tant ! Quant aux Autrichiens, aux Bulgares et aux Turcs, pour qui l’Allemagne s’épuisait depuis si longtemps, ils n’avaient qu’à se débrouiller comme ils pourraient...

Il était grand temps de redresser cette opinion qui s’abandonnait, si on ne voulait se laisser entraîner par elle. Les fantoches qui représentaient le gouvernement, Michaëlis, puis Hertling, passèrent la main au grand quartier général : celui-ci appela les pangermanistes à la rescousse. Le Vaterlandspartei se constitua dans chaque commune. Une campagne de presse et de conférences se déchaîna par toute l’Allemagne. A Creuzburg même, des pasteurs, des professeurs, des fonctionnaires vinrent le dimanche à l’hôtel de ville tenir des discours patriotiques avec accompagnement de cinéma. L’état-major de Cassel organisa de son côté un « service de direction de l’opinion. »