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de passage à des armées anglaises et françaises en marche vers le Rhin. Je souris et il rougit. « Il me semble, lui dis-je, que l’Etat-major sort parfois de ses attributions. Allez-vous lui renvoyer ces cartes ? » Il les fit naturellement placarder, mais sans enthousiasme. Bientôt, elles eurent disparu des murs.

De la Belgique, naturellement, je causais tous les jours avec lui, et c’était un sujet qu’il cherchait à éviter. Il avait commencé par me débiter les fables propagées par l’Etat-major : la conspiration du gouvernement belge contre l’Allemagne et les abominations des francs-tireurs. Je finis, sinon par le convaincre entièrement de leur fausseté, au moins par ébranler la créance qu’il leur accordait. Mais il me fut toujours impossible de lui faire comprendre pourquoi la Belgique s’était jetée en travers du chemin de l’Allemagne. « Vous saviez bien que vous seriez battus. Alors, à quoi bon résister ? » Il affirmait d’ailleurs, et je crois qu’il était en cela tout à fait sincère, que personne ne s’était attendu à l’agression de la Belgique. Quand, le 4 août, on apprit à Creuzburg que Liège était attaqué, ce fut, disait-il, une véritable stupeur. On crut tout d’abord que Liège était une ville française, et il fallut consulter l’atlas avant de se rendre à la réalité.

Au surplus, les calomnies forgées par l’Etat-major au début de la guerre, pour soulever l’opinion contre les Belges, étant devenues superflues en 1917, on avait cessé d’en parler. Les gazettes ne s’occupaient plus des francs-tireurs. Elles ne s’en occupaient que davantage de la question flamande. A part quelques « intellectuels, » elle n’intéressait personne. Chacun sentait fort bien que ce n’était là qu’une manœuvre annexionniste. La Belgique, disait-on, doit appartenir à l’Allemagne ; sinon, elle appartiendra à l’Angleterre, et l’Angleterre, c’est l’ennemi mortel et capital.

Dès que la conversation s’engageait sur ce chapitre, elle provoquait infailliblement des accès de fureur et un débordement d’injures. Chez tout le monde, sans distinction de classes ou de partis, c’était la même explosion de haine. Évidemment on s’était attendu à voir l’Angleterre observer la neutralité. Les désillusions sans nombre qu’amenait cette guerre interminable retombaient sur elle. Toutes les privations, toutes les souffrances que l’on endurait, c’est elle que l’on en rendait responsable, et il s’y ajoutait encore l’humiliation de voir bloquée