Officiellement, Creuzburg est une ville. En réalité, c’est un gros village de 2 000 habitants, situé aux confins de la Thuringe à douze kilomètres au nord d’Eisenach, auquel le relie un petit chemin de fer d’intérêt local. Le site est, pittoresque. Le bourg, dominé par la côte abrupte du Visch, enserre de ses maisons à toits rouges et à lambourdes, une éminence surmontée d’un vieux château, auquel se rattachent des souvenirs de saint Boniface et de sainte Elisabeth. A ce château aboutissent les débris d’un mur d’enceinte à demi ruiné et flanqué de tours. A quelque distance, la Werra roule ses eaux sombres que franchit un pont construit au moyen âge. Une jolie chapelle du XVe siècle s’élève à l’une de ses extrémités, ombragée de tilleuls séculaires. Sauf vers la gare, où l’on rencontre quelques maisons modernes et une petite filature de rubans, la localité, située assez loin des grandes voies du transit, a conservé un air ancien et tout à fait vieille Allemagne. L’industrialisme moderne commençait à peine à la toucher quand la guerre éclata. Une partie de la population travaille cependant dans les fabriques d’Eisenach. Mais la majorité vit de la culture du sol, ou trouve, dans les villages environnants, la clientèle suffisant à l’entretien d’un petit commerce. Tout le pays a passé au protestantisme dès la fin du XVIe siècle. Creuzburg est le siège d’une « super-intendance » luthérienne. Politiquement, il appartient au grand-duché de Saxe-Weimar et fait partie de la Bezirks-Direktion d’Eisenach.
Tel était le pays où j’allais résider durant les vingt derniers mois de ma captivité. Quand j’y arrivai le 29 janvier 1917, et qu’il m’apparut sous un pâle soleil du soir, endormi et comme enseveli sous une lourde chape de neige, je ressentis tout d’abord une étrange impression d’isolement et de solitude. Le lieutenant qui m’accompagnait devait me remettre au bourgmestre. Nous le rencontrâmes en chemin : un petit homme rougeaud, l’air placide et qui tout de suite me tendit la main. Il se hâta de m’apprendre que je lui avais été signalé comme « très dangereux » et que le principal aubergiste de Creuzburg avait refusé de me loger. Il allait me conduire au Gasthof zum Stern, chez Wilhelm Panitz, qui, moins timide, consentait à me