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refusait ainsi la mauvaise monnaie, dont il inondait l’Empire !

De la crise politique et économique riait la crise sociale. Exterminées, ruinées ou dispersées, l’aristocratie et la classe moyenne aisée qui avaient grandi pendant le premier et le second siècle dans tout l’Empire, qui étaient la base de toute son organisation politique et sociale, qui avaient porté à son apogée la civilisation antique par la fusion de l’hellénisme et du romanisme disparaissent ; leurs richesses, celles au moins qui n’ont pas été détruites, et leur puissance passent à une oligarchie nouvelle d’enrichis et de hauts fonctionnaires, civils ou militaires, recrutée presque toute dans les classes inférieures et dans les populations les plus barbares, qui n’avaient que de très loin ressenti l’influence du romanisme et de l’hellénisme. L’Empire redevient barbare, et du dedans encore plus que du dehors ; par l’élévation à la richesse et au pouvoir des éléments les plus grossiers de l’Empire encore plus que par les invasions des Barbares vivant de l’autre côté du Rhin ou du Danube. Le niveau de la culture s’abaisse partout : en philosophie, en droit, en littérature ; parce que les nouveaux dominateurs la méprisent ou, plus simplement, l’ignorent.

Une culture raffinée chez les puissants de l’Empire n’est plus la règle, mais une heureuse exception. Et la décadence s’étend à toutes les industries et à tous les arts où la civilisation gréco-romaine avait tant excellé, et qui deviennent plus grossiers ou plus vulgaires : à la sculpture, à l’orfèvrerie, à l’architecture. Ce qui reste de richesse est gaspillé dans un luxe barbare, de mauvais goût, criard, lourd, heurté, bon pour éblouir les esprits communs, dans des plaisirs ou dans des fêtes violentes et désordonnées, dans des constructions gigantesques et inutiles, qui encombrent les quelques grandes villes encore florissantes au milieu de la ruine des petites, plus qu’elles ne les embellissent. Plus l’Empire s’appauvrit et plus l’architecture publique des grandes villes tend au colossal. Enfin, — et c’est le coup de grâce à la civilisation antique, — la religion qui avait été la base de la vie politique, sociale, intellectuelle, le polythéisme païen, est en train de mourir. Les cultes de l’Orient font irruption partout, menaçant de bouleverser moralement le monde déjà si secoué par les guerres et les révolutions.