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semblant de vérité qu’il était toujours de l’avis de celui qui lui parlait, cela s’explique par le besoin qu’ont certaines natures très sensitives d’attirer et de charmer tous ceux avec qui elles se trouvent en contact. Il y a des hommes, — des femmes surtout, — chez qui une pareille attitude n’est qu’un artifice et qui emploient la flatterie et l’assentiment systématique comme un moyen de faire des dupes : un des maîtres dans cet art m’a toujours paru être l’ex-chancelier allemand prince de Bülow. Chez l’empereur Nicolas, j’en suis convaincu, cette manière d’être était absolument inconsciente et indépendante de sa volonté ; elle a, peut-être, contribué à lui acquérir la réputation de « charmeur » dont il jouissait, mais sans qu’il y eût de sa part ombre de calcul.


CONCLUSION

Après avoir analysé d’une manière qui, je l’espère, ne paraîtra pas trop minutieuse, le caractère de Nicolas II, tel qu’il se forma sous l’influence du milieu qui l’environna depuis son enfance, je m’arrête devant la tâche d’en donner ici la synthèse. Ce caractère fut essentiellement « ondoyant et divers ; » tout en nuances et en demi-teintes, il ne se prête guère à des définitions tranchées ; il semble bien pourtant que le trait dominant en ait été une faiblesse de volonté qui paralysa un ensemble de qualités de cœur et d’intelligence incontestables.

Au moment de la crise intérieure de 1905, ce fut précisément cette faiblesse de volonté qui sauva la cause de la monarchie. Le mouvement révolutionnaire provoqué par les revers de la guerre russo-japonaise, avait en réalité des causes beaucoup plus lointaines et qui remontaient au règne précédent. Ce mouvement, comprimé pendant treize ans par Alexandre III, aurait certainement fini à la longue par éclater même sous le régime de fer de ce souverain ; à plus forte raison devait-il faire explosion sous celui plus débile de son successeur. Mais, tandis que Nicolas II, se soumettant à l’inévitable, conjurait la catastrophe par l’octroi de la Charte du 30 octobre 1905, la volonté inflexible d’Alexandre III ne se serait probablement pas pliée devant les événements qui auraient fini par le briser. Comme dans la fable du Chêne et du Roseau, le faible réussit à se redresser, là où le fort aurait succombé.