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paix à un homme connu de tous qui fût le symbole de l’union nationale. Dans la période d’histoire où nous entrons, il ne suffit pas que le chef de l’État ait la puissance légale que confère un vote constitutionnel : il lui faut aussi cette autorité que donne seul l’accord des pensées et des sentiments. La presque unanimité du Congrès a fait avec intention de l’élu du 17 janvier l’élu de toute la France.

M. Paul Deschanel était digne de cette destinée : il représentera notre pays, non seulement avec beaucoup de correction, et de conscience, mais avec de brillantes qualités personnelles. Depuis près de quarante ans qu’il est dans la vie publique, M. Paul Deschanel s’est toujours fait remarquer par la dignité de son existence, son activité, son intérêt pour tous les problèmes d’ordre international ou social. Il appartient à l’une de ces familles de la grande bourgeoisie politique, qui alliaient au culte de l’esprit le souci des affaires publiques. Le nom qu’il porte est celui d’un maître dont la mémoire est honorée dans l’Université et qui, après avoir sous l’Empire partagé l’exil de Hugo, de Quinet, de Charras et d’Arago, est venu enseigner la littérature au Collège de France. Dès les premiers jours qui ont suivi son élection, M. Paul Deschanel a voulu faire un acte de piété filiale en allant assister au cours qui est professé dans la même salle où parla jadis son père. Ce sont les meilleures traditions de notre pays qui ont formé la jeunesse et qui ont dirigé la vie de M. Paul Deschanel. Lorsqu’il est entré dans la carrière politique, il avait des connaissances étendues, le goût des lettres, la curiosité et la sympathie pour les manifestations, même nouvelles, de l’intelligence française. Il était pourvu de cet ensemble de qualités que Renan appelait l’honnêteté et où il se plaisait à voir l’aristocratie de nos jours. En se consacrant aux affaires de son pays, M. Paul Deschanel n’a jamais redouté de laisser périr quelque chose de cet héritage ; il n’a jamais cru que les luttes parlementaires ne s’accommoderaient pas avec le travail de l’esprit et avec le talent. Dans les cabinets de ministre où il a passé lors de ses débuts, à la Chambre où il siège depuis tant d’années, dans les commissions où il a travaillé comme rapporteur, il a complété son éducation politique et reçu les leçons de l’expérience. Mais il a toujours accordé l’action et l’étude ; il a su être à la fois académicien et député. La confiance de ses collègues a voulu qu’il fût très souvent Président de la Chambre et il a exercé ces fonctions à la satisfaction de tous. Aucun poste n’était plus favorable pour observer le tumulte de la vie publique et