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famille avec un des gros personnages du parti réactionnaire, le comte Schéréméteff. Ce fut ce ministre qui imagina de faire revivre à la cour de Russie les souvenirs du règne du tsar Alexis Michaïlowitch, deuxième des Romanoff et père de Pierre le Grand. On opposa au règne tourmenté du fils, marqué par l’importation violente de l’esprit occidental, l’époque patriarcale et encore toute « moscovite » du père ; il fut de mode, dans l’entourage de l’empereur Nicolas II, de prôner le « Tsar Tranquillissime, » adonné aux exercices de piété, régnant par la douceur, dévoué à sa famille et à ses proches, et faisant dans ses conseils une place à la belle et vertueuse tsarine Nathalie Narichkine. L’engouement pour cette figure, toute conventionnelle d’ailleurs, du tsar Alexis, est la raison pour laquelle Nicolas II donna à son héritier ce nom tombé en désuétude parmi les souverains russes, depuis la mort tragique du fils de Pierre le Grand, le malheureux tsaréwitch Alexis, révolté contre les idées de progrès de son père et sacrifié par le grand réformateur à la raison d’Etat. Cet engouement revêtit parfois des formes pittoresques, comme lorsque, pendant toute une saison d’hiver, on ne fut occupé autour de l’empereur Nicolas et dans la haute société de la capitale, que de l’organisation d’un bal costumé, resté célèbre, et qui reproduisit, dans les salles du Palais d’Hiver, les splendeurs encore semi-asiatiques de la cour du tsar Alexis Michaïlowitch. Retenu à l’étranger par mes fonctions diplomatiques, je n’assistai pas à ce bal que je ne connais que par les descriptions enthousiastes de ceux qui y prirent part. Il fut d’une somptuosité extraordinaire. Le couple impérial, revêtu de costumes splendides qui rehaussaient la grâce juvénile de l’empereur Nicolas et la beauté imposante de l’impératrice Alexandra, y personnifia le tsar Alexis et la tsarine Nathalie. Les Grands-Ducs, les Grandes-Duchesses et les membres de la haute société de Saint-Pétersbourg y rivalisèrent de fourrures précieuses et de pierreries. Ce bal, qui fut non seulement une fête merveilleuse, mais une espèce de symbole des idées politiques de l’Empereur et de ses conseillers, marqua l’apogée du règne de Nicolas II, qui devait bientôt être obscurci par l’approche des troubles et des catastrophes de tous genres qui en remplirent la seconde moitié.

Ce fut le même M. Sipiaguine qui, après avoir fait décorer une pièce de sa résidence officielle à Saint-Pétersbourg dans le