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m’interdisent d’y assister. — Pourquoi ? dit le poète. Parce que j’ai déclaré que je veux être incinéré ? Vous savez bien que je n’ai jamais été contre les prêtres… Seulement, voyez-vous, il y a la poésie, et tout le reste est de la blague. »

J’allai le voir l’avant-veille de sa mort. Il était couché, vaincu par le mal, mais le verbe haut, le regard toujours clair. Il y avait dans la chambre quelques personnes, entre autres le médecin, qui lui dit après un moment d’entretien : « C’est assez, M. Moréas. Vous avez besoin de repos. » Le poète se releva : « Fichez-moi la paix ; je n’ai besoin d’aucun repos. Je cause avec mes amis. C’est ça qui me repose. »

Les obsèques eurent lieu au Père-Lachaise, par une magnifique journée de soleil. Le cercueil disparaissait sous les fleurs. Debout au milieu de nous, M. Maurice Barrès prononça quelques paroles d’adieu, pendant que, derrière les grands murs nus, on procédait à l’incinération de notre ami. Jamais la mort ne m’a donné une telle impression de néant. Je n’eus pas le courage d’attendre la fin. Dehors, délivré de l’oppression, je me retournai pour regarder un instant la haute cheminée d’usine d’où sortait une épaisse fumée noire : c’était l’âme de Moréas qui s’en allait, comme il l’avait souhaité dans les Stances :

Compagne de l’éther, indolente fumée,
               Je te ressemble un peu…
Sans plus nous soucier et sans jamais descendre,
                Évanouissons-nous…


Oui, son être mortel s’est évanoui ; mais son œuvre nous reste, et c’est par là qu’il demeure et demeurera longtemps fencore vivant parmi nous.

Antoine Albalat.