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Vers la fin de sa vie, Moréas songea sérieusement à se faire naturaliser Français pour entrer à l’Académie. C’est surtout pour cette raison qu’il désirait voir Iphigénie à la Comédie-Française. Il avait beau sourire quand on lui parlait de cette candidature, c’était sa seule ambition. Nous le plaisantions sur le discours qu’il prononcerait. Son ami, le musicien Dubreuilh, qui imitait sa voix à la perfection, avait déjà trouvé les premiers mots qu’il débiterait sous la coupole. « C’est bien simple. Moréas commencera par une phrase dans ce genre : « Messieurs, Sophocle, Racine et peut-être moi… »

J’ai rarement entendu Moréas parler de la mort, de l’énigme humaine, de la vie future. Il a écrit quelque part : « Ô monts de l’Attique, ô Phalère aux blancs rivages, il sied que je vous admire sans tendresse désormais. Je touche à la perfection et à la mort. Mais la mort est une sottise. » En quoi la mort est-elle une sottise ? Il ne l’expliquait pas. Il me dit un jour : « La vie et la mort, au fond, c’est la même chose, puisque, quand on est mort, on n’en sait rien. » Un autre jour il ajouta avec gravité : « Vous savez ce que j’ai dit de la mort dans Feuillets ? — Non, je ne me rappelle plus. — Je dis ceci… » Et se reculant, un doigt levé pour solenniser sa parole : « Ô mort, je ne te crains plus. Je te connais trop bien. » Et, comme cette déclaration me laissait perplexe, il reprit en souriant : « Vous ne savez pas… Vous ne pouvez pas comprendre. » Il prononçait ainsi très souvent des phrases sibyllines auxquelles il prêtait une importance mystérieuse. L’idée ne m’était jamais venue que Moréas eût pu être tourmenté un seul instant par la pensée de la mort. Pourtant, quand je l’ai vu mourir le sourire aux lèvres, je me suis demandé si le mot que je viens de rappeler n’avait pas un sens plus profond que je ne le croyais, et s’il n’avait pas, en effet, regardé la mort en face, au point de se vanter de la « connaître trop bien… » D’autres fois je me reprends à croire que c’était pure indifférence et qu’il n’y a jamais pensé.

Les journées qui précédèrent sa fin furent de belles journées claires et de chaud soleil. « Mon enterrement sera très beau, disait-il à Baragnon. Le temps est superbe. Il y aura des fleurs. — Oui, dit le catholique Baragnon, votre enterrement sera très beau. Je regrette seulement que mes convictions religieuses