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Sous le nouveau règne le prince Mestchersky n’exerça pas une action aussi prépondérante et ne fut pas, comme sous le règne précédent, un intime de la cour ; mais son influence sur l’esprit de l’empereur Nicolas II fut toujours très grande, surtout dans le domaine de la politique intérieure. Dans celui de la politique étrangère, Nicolas II sut, heureusement, se soustraire aux efforts que fit le prince pour le détacher de l’alliance française et l’aiguiller vers l’Allemagne. Lorsque j’eus entrepris l’œuvre de rapprochement avec l’Angleterre et le Japon, le Gradjanine s’y montra violemment opposé et son action systématique pour l’entraver me causa de sérieuses préoccupations. Lorsqu’en venant faire mon rapport à l’Empereur, je voyais ce journal sur sa table, et que je lui demandais ce qu’il pensait de la dernière diatribe du prince Mestchersky contre moi et contre ma politique, il répondait en riant qu’il n’y attachait aucune importance et que je ne devais pas m’en inquiéter. Il n’en était pas moins vrai que ces articles, écrits avec beaucoup de verve et de talent, impressionnaient beaucoup Nicolas II et m’astreignaient à un véritable travail de sisyphe pour en combattre les effets.


LA CATASTROPHE DE MOSCOU

C’est en mai 1896, lors de son couronnement à Moscou, que l’empereur Nicolas II prit pour la seconde fois contact avec son peuple. On se souvient dans quelles tragiques circonstances : la fatalité, qui a pesé sur toute l’existence du malheureux souverain, semble s’en être dès lors emparée pour marquer d’avance le sort tragique de son règne. La catastrophe qui assombrit, dès leur début, les fêtes du couronnement de Nicolas II rappelle, de façon saisissante, celle qui s’est produite pendant les réjouissances populaires organisées à Paris en 1770 à l’occasion du mariage de Louis XVI. La même cause, une irrémédiable incurie administrative, eut le même effet : une foule énorme sur un emplacement trop restreint