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soldats, de serviteurs, d’hommes de peine, de lingères, d’entrepreneurs, de blanchisseuses, d’ouvriers, de commissionnaires qui, du matin au soir, circulent au Temple, crée un continuel va-et-vient dans les cours et dans les jardins. Les appartements de la Tour sont mal protégés contre cette invasion ; à tout instant y entrent les monteurs de bois, les frotteurs, les porteurs d’eau, quand ce ne sont pas les serruriers, les fumistes ou les menuisiers appelés pour quelque réparation. On distribue près de sept mille cartes par mois, et l’on comprend que, dans ces conditions, il n’est pas besoin de beaucoup de ruse pour pénétrer auprès de la Reine, On a vu qu’elle reçoit, outre Mlle Pion et le médecin Brunier, le peintre Kocharsky, Jarjayes, le baron de Batz, ces deux derniers sous un déguisement ; d’autres visiteurs encore, signalés dans les documents de façon très sommaire et dont il n’est plus reparlé ; sans compter Turgy qui, secrètement, se charge de la correspondance, porte et rapporte des billets écrits à l’encre invisible, sert à la Reine de commissionnaire auprès de Mme de Sérent et de Toulan. Chaumette, très au courant, ou croyant l’être, s’occupe, dès la dénonciation des Tison, à celer les prisonnières. Comme, depuis quelques jours, la Reine a consenti à prendre l’air et à monter avec ses enfants sur la plate-forme supérieure de la Tour, il apprend que le public, du fond des rues voisines, apercevant les détenues « qui paraissaient tristes et consternées, » s’attroupe chaque matin pour guetter leur promenade. Le procureur général s’inquiète ; il court au Temple, explore la plate-forme et rapporte ses impressions au Conseil de la Commune : on peut, de là-haut, communiquer par gestes avec des affiliés postes dans les maisons avoisinantes ; un des notables propose d’exhausser le parapet, « de façon à ce que les prisonniers ne puissent voir que le ciel au-dessus de leur tête ; » mais Chaumette estime la précaution un peu trop dure : il a des scrupules. « La postérité nous attend, dit-il, et déjà nous vivons dans l’Histoire ! » Et il est arrêté que l’on posera, entre les créneaux, une cloison de jalousies.

Son but n’est pas de torturer les détenus : — s’il a « l’inflexibilité d’un magistrat, » il possède « la sensibilité d’un père, » ainsi qu’il le confesse lui-même ; il ne cherche qu’à isoler complètement le Dauphin, afin d’en disposer à son gré, de l’avoir tout à soi. Rien à tenter, tant que l’enfant vivra avec sa