On nous manda tous devant le major. Il nous signifia que le général s’opposait à l’élection de MM. Lampens et Waleffe. Là-dessus nous donnâmes notre démission. Il eût été impossible de trouver des remplaçants à nous substituer. Or, le bureau de bienfaisance ne pouvait rester fermé plus longtemps sans scandale, et même sans danger. Il fallut capituler avec nous. L’élection de M. Lampens fut ratifiée, et M. Waleffe insistant, dans l’intérêt de nos compatriotes, pour que nous ne prolongions pas plus longtemps la résistance, nous reprîmes nos fonctions.
On comprend combien ces petits épisodes occupaient et passionnaient les prisonniers, aux yeux de qui ils prenaient l’apparence de grands événements. Pour remplir le vide des heures, chacun s’ingéniait à sa façon, et parfois de façon touchante et spirituelle. Un souvenir encore, entre beaucoup d’autres. Le jour de la fête de la reine Elisabeth, tous les Belges portaient à la boutonnière une fleur blanche en papier. Depuis de longs jours, les femmes du camp avaient confectionné en secret ces petits insignes, auxquels les Allemands ne comprirent rien. Le 21 juillet, la photographie du roi Albert se répandit soudainement dans le camp. Quand, vers neuf heures du matin, l’autorité avertie en arrêta la distribution, plusieurs centaines d’exemplaires avaient été vendus. Malgré toutes les recherches, on ne découvrit ni l’auteur du méfait, un Liégeois, M. Lebrun, ni l’atelier qu’il avait improvisé sous le plancher de la baraque 73. Il fut impossible de se donner rendez-vous le même jour, à la chapelle : l’affluence du monde aurait immédiatement excité les soupçons. Quelques-uns d’entre nous seulement s’y trouvèrent réunis, et je me rappellerai toujours la physionomie et les regards de mes compagnons, quand, entre les parois de bois nu, s’élevèrent les paroles : Domine, salvum fac regem nostrum Albertum.
Nous étions, à Holzminden, plusieurs membres de l’enseignement. Tous s’employaient de leur mieux à instruire et à distraire leurs compagnons. Pour ma part, je faisais deux cours ; l’un, d’histoire économique pour 2 à 300 étudiants russes capturés à Liège au mois d’août 1914, l’autre, où je racontais à mes compatriotes l’histoire de leur pays. Jamais je n’ai eu d’élèves plus attentifs et je n’ai enseigné avec un tel plaisir. L’aspect du cours d’histoire de Belgique était vraiment prenant.