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Son domaine de prédilection était celui des jeux en plein air et des exercices athlétiques, dont il tâchait d’inculquer le goût à ses élèves : c’est à lui que Nicolas dut sa parfaite connaissance de la langue anglaise et son adresse à tous les genres de sport. Mais M. Heath, qui ne parlait presque pas le russe et n’avait pas fait d’études universitaires, n’avait aucune des connaissances nécessaires pour préparer l’héritier du trône à son rôle de futur souverain de la Russie.

J’ai eu souvent l’occasion de m’entretenir de son élève avec M. Heath, qui vécut encore assez longtemps en Russie après avoir cessé ses fonctions à la Cour. Il m’a toujours parlé de Nicolas II avec la plus chaude affection, je dirai même avec une tendresse touchante, insistant surtout sur sa grande simplicité et sur la délicatesse de ses sentiments. M. Heath n’avait rien du courtisan et se distinguait par une droiture et une franchise plutôt un peu rudes : la sincérité de son témoignage ne saurait donc être mise en doute. J’ai pu constater par la suite, lorsque j’entrai à mon tour en rapports avec Nicolas II, combien les moindres détails de ce qu’il m’en avait dit étaient exacts et d’une fine psychologie. De son côté, l’Empereur conserva toujours pour son ancien précepteur un réel attachement ; il m’en parlait souvent, et comme il savait qu’au Lycée j’avais été un de ses élèves préférés et que je lui gardais le souvenir le plus reconnaissant, notre commune gratitude pour cet excellent homme contribua peut-être au début de mes relations avec le souverain, à établir entre nous un lien d’une nature particulière.

Si l’on veut se rendre un compte exact de certains côtés du caractère de l’empereur Nicolas II, il faut avant tout se placer par la pensée dans le milieu qui fut celui de son enfance et de sa jeunesse, jusqu’au jour où, à l’âge de vingt-six ans, après la mort soudaine de son père, il monta sur le trône. Ce milieu était entièrement dominé par la puissante personnalité de l’empereur Alexandre III, dont la volonté s’imposait d’une manière absolue à tous ceux qui l’entouraient.

La carrure et la force herculéenne d’Alexandre III semblaient exclure toute possibilité d’un prochain changement de règne. Aussi, comme je l’ai dit, le jeune héritier du trône ne recevait-il aucune instruction propre à le préparer au rôle de souverain ; on le tenait complètement en dehors des affaires