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dans les pays de l’Entente ne lui consacrèrent que de courtes nécrologies : on avait l’impression que leurs auteurs s’abstenaient, par une espèce de pudeur, d’exprimer toute leur pensée et l’on devinait sous cette réserve des jugements qui n’étaient pas favorables à la mémoire du souverain défunt. A cette règle de « la conspiration du silence » il y eut cependant une exception retentissante : le Daily Telegraph, de Londres, publia une série d’articles signés du docteur E. J. Dillon et dont la substance était empruntée au livre du même auteur : The eclipse of Russia. Non seulement ces articles contenaient un violent réquisitoire contre la politique et les actes publics de Nicolas II, mais on y trouvait de lui un portrait qui faisait apparaître sa figure morale sous les traits les moins sympathiques, pour ne pas dire plus. Le docteur Dillon étant doué d’un talent d’écrivain remarquable et ayant acquis une grande autorité pour tout ce qui touche à la Russie, il était à craindre que son jugement ne s’imposât à la grande opinion publique déjà influencée dans le même sens par d’autres écrits dus à des plumes moins renommées ; car, depuis la chute de la Monarchie russe, il y a eu toute une floraison de livres dont les auteurs se sont adonnés à la tâche facile de ramasser et de joindre bout à bout, sans les soumettre à la moindre critique, tous les racontars de nature à noircir la mémoire de Nicolas II.

Il m’a semblé qu’en présence d’appréciations aussi erronées, il était de mon devoir d’apporter sans retard au débat un témoignage fondé sur des observations personnelles ; ce témoignage sera, je l’espère, d’autant plus valable, qu’à aucun moment de ma collaboration avec Nicolas II, je n’ai suivi en aveugle les errements de sa vie publique et que j’ai la conscience d’avoir épuisé tous les moyens pour le détourner des tendances qui devaient fatalement l’amener à sa perte et causer en même temps la perte de la Russie, Plutôt que de m’associer à ces tendances, j’ai préféré, à un moment donné, quitter le pouvoir, et nul n’a été plus que moi sévère pour les défaillances de Nicolas II en tant que souverain et maître des destinées de son peuple. Je n’en éprouve que plus impérieusement le besoin de proclamer que, comme homme, il inspirait, par un ensemble de rares qualités de cœur et de charmants traits de caractère, un sentiment d’ardente sympathie que j’ai partagé avec tous ceux qui l’ont connu de près. Même après m’être séparé de