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LETTRES A L’ÉTRANGÈRE
NOUVELLE SÉRIE [1]


VI


A Madame Hanska, à Dresde.


(Passy, jeudi,) 6 mars 1845.

Ma bonne chérie minette, tu as donc lu de travers ce que je te disais uniquement que nous étions volés, qu’on te faisait payer l’affranchissement, et que je le payais aussi, ce qui constituait un danger et une dépense inutile.

Voilà douze ans, chère ange, que je t’écris, et jamais une lettre n’a passé par d’autres mains que les miennes, de ma table à la boite aux lettres. Ce n’est pas un reproche que je te fais. Je sais bien que tu ne peux pas, comme tu me le dis, mettre toi-même dans la boite la lettre, par vingt-deux degrés de froid, surtout quand tu es souffrante. Ce n’est que le Noré qui-se traîne de son lit, mourant, pour y aller, comme l’année dernière, quand j’avais la bile dans le sang et que j’étais depuis six semaines au lit, n’ayant bu que de l’eau. Mais ceux qui ont failli font plus que les gens irréprochables. Les lettres me font toujours trembler. Je n’affranchis pas les miennes, parce que la poste ayant intérêt à faire parvenir une lettre qui lui doit trois francs, en prend du souci, et je préférerais bien que tu n’affranchisses pas les tiennes, quand tu n’y es pas forcée. Voilà, madame. Et surtout, en voilà assez. Avoue que tu ne te doutais

  1. Voyez la Revue du 15 décembre 1919