qui nous donnèrent, à nous autres spectateurs lointains, l’assurance bienfaisante de l’étendue de notre victoire : on lisait, racontés par les Allemands eux-mêmes, leurs projets, l’ivresse des premiers jours, puis le doute, la dépression, enfin le désespoir. Qu’on juge de l’effet que produisaient de telles pages lorsqu’elles venaient à pénétrer de l’autre côté des lignes ! Je ne dis point qu’elles changèrent l’opinion d’un Allemand ; les Allemands n’en ont jamais cru que leur état-major. Mais lorsque M. Madelin publia en brochure sa Bataille de la Marne, une mère française, dont le fils était prisonnier depuis Maubeuge, dépeça le volume, se servit des feuillets pour couvrir des confitures et expédia le tout en Allemagne avec une lettre : « Tu goiàteras le dessus, disait-elle; tu sais que c’est le meilleur. » La censure allemande ne comprit pas et laissa passer. C’est ainsi que tout un camp de prisonniers français, qui n’avaient jamais ouï parler de la victoire de la Marne, fut instruit, grâce à Louis Madelin, par le « dessus » des confitures.
Un tel trait suffirait à justifier le rôle de la Section d’Information. Ce n’est d’ailleurs pas sans peine que les premiers « informateurs » acquirent le droit de faire reconnaître l’utilité de leur fonction. Il y a chez les militaires une méfiance irréductible pour tout ce qui écrivaille, l’hostilité de l’homme d’action contre l’homme de parole. Il fallut une longue expérience, il fallut le tact el le dévouement d’un Bordeaux et d’un Madelin pour vaincre sur ce point les premières répugnances. Mais les deux amis se passionnaient pour leur métier : il leur faisait un devoir d’aller partout et de tout voir. Jamais ils n’hésitaient, pour se renseigner de plus près, à courir jusqu’aux premières lignes, à se mêler aux combattants. Ils faisaient voir que la conscience professionnelle est une des formes du courage ; leurs belles « citations » en témoignent. Ainsi ils méritaient l’estime de leurs camarades, conquéraient le respect. Ils soutenaient l’honneur de la littérature. Je pourrais rapporter de cette petite lutte plus d’une anecdote piquante. Peu à peu, les deux écrivains réussirent à en venir à leurs fins. Ils obtinrent par degrés que l’on renonçât en partie au secret de la gloire. Pendant deux ans, nos hommes s’étaient battus dans le gris, sous une brume incolore. On ne voyait plus le drapeau. Louis Madelin souleva un coin du voile. On constata aussitôt quel effet d’émulation et d’encouragement produisait sur le soldat cette;