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précieux observatoire. Deux de ses frères étaient soldats. L’un était ce commandant Madelin, esprit supérieur, distingué de Pétain qui le tenait pour un des chefs les plus pleins d’avenir, et dont la mort aux Ouvrages Blancs, en mai 1915, fut une des pertes les plus sensibles de notre jeune armée. L’autre, le général Madelin, fut un de ces divisionnaires de 1918, qui formeront une équipe aussi célèbre dans l’histoire que notre corps de généraux de 1796. Enfin, un oncle de M. Madelin, le colonel Zeller, ancien chef d’escadron sous le colonel Nivelle, allait faire partie de l’état-major Castelnau et demeurer avec Pétain le chef du bureau des opérations de la 2e armée.

On voit que ce Lorrain, de famille aux trois quarts militaire, était dès le temps de paix quasi mobilisé. Il n’eut donc presque aucune surprise, en rejoignant le 3 août son poste de sergent au 44e territorial, le « régiment de place » de Verdun, et se trouvant le lendemain aux avant-postes, au cimetière de Vaux, dans l’attente des premiers uhlans. Il avait pris depuis longtemps son « dispositif face à l’Est, » à l’avant-garde de la France. Il n’y eut dans son âme nulle ombre d’hésitation sur l’attitude à prendre, le jour inévitable du règlement de comptes avec la Germanie. C’était une échéance prévue depuis toujours. Que de fois, parcourant l’Argonne au couloir des Islettes, pendant les manœuvres d’automne, le sergent réserviste avait « répété » la campagne de 1792 et revécu l’histoire aux « Thermopyles de la France ! » Que de fois, dans ses promenades sur fa muraille des Hauts-de-Meuse, sur ce chemin de ronde qui de Verdun à Toul commande les routes de Woëvre, il avait rêvé d’une rencontre dans cette fatale arène, d’une immense bataille « où se déciderait le sort du pays ! » Ce qu’il n’avait pas prévu, c’est que les Allemands, pour ne pas se heurter à cette muraille, essaieraient de la tourner par l’Ouest, en débordant par la Belgique. La rencontre décisive se produisit, non pas en Woëvre, mais en Champagne : ce fut la bataille de la Marne. Les Allemands la perdirent pour n’avoir pas réussi à faire tomber Verdun. Ainsi notre « force de l’Est » avait joué tout de même son rôle dans la victoire. Dès le début de la guerre, Verdun en était le pivot. Il y a une destinée pour les historiens : la sienne amenait Louis Madelin, dès les premiers coups de fusil, au poste qui, jusqu’à l’armistice, devait être le gond du front occidental.