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chien ainsi posé existe encore : un an après l’armistice, les Alliés sont amenés à s’occuper du sort de Vienne et à reconnaître l’importance essentielle pour eux de la destinée de l’Autriche, même réduite à ses nouvelles frontières.

Le chancelier Renner est venu à Paris au milieu de décembre pour tenter une suprême démarche auprès de la Conférence de la Paix et pour sauver l’Autriche du désastre : sous les apparences d’un problème surtout économique, c’est en réalité tout l’avenir politique qui est en jeu. L’Autriche est dans une situation matérielle terrible : elle paie cher aujourd’hui la folie qu’elle a commise en se faisant, en 1914, la complice de l’entreprise allemande. En parlant de ses souffrances, on ne peut s’empêcher de songer atout ce qu’ont subi injustement tant de nos provinces pendant cinq ans d’invasion et à toutes les difficultés qu’elles éprouvent à se reconstituer. La détresse autrichienne n’en est pas moins un fait. Le Chancelier d’Autriche avait commencé par jeter un cri d’alarme, il y a quelques semaines, devant l’Assemblée nationale : il avait montré l’insuffisance du ravitaillement et avoué la menace de la famine. À Vienne, les services publics risquent de ne plus fonctionner ; la mortalité croît, surtout parmi les enfants, la population est déprimée et ne se sent plus en sécurité. Isolée politiquement et économiquement, la République autrichienne est incapable de se suffire à elle-même. Tous les renseignements fournis par la presse autrichienne, par les voyageurs, confirment les aveux du chancelier. Il n’y a ni pain, ni farine, ni charbon, et, quand il s’en trouve, la population les paie à des prix exorbitants. A la fin de novembre, Vienne s’est réveillée un matin ayant épuisé son stock de pain et de combustible. Les usines électriques ne pouvaient plus fonctionner que deux jours et elles n’ont fourni après qu’un travail réduit. La suspension du travail par suite de l’insuffisance du charbon cause un chômage considérable et pose la question du secours aux sans-travail. La crise est à la fois économique et sociale. Le chancelier Renner est venu demander au Conseil suprême de prendre en garantie les ressources financières de l’Autriche et de l’aider à vivre. S’il avait échoué, il était en droit de dire à la République autrichienne qu’il ne pouvait plus prendre la responsabilité de la gouverner : c’était l’Autriche livrée à la révolution.

C’était pire encore : c’était l’Autriche livrée à l’Allemagne. Durant toute la crise que subissait l’Autriche, l’Allemagne n’a cessé de lui témoigner sa sollicitude. Plus l’Entente semblait avoir d’autres préoccupations, plus l’Allemagne affectait de dire qu’elle se chargerait