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socialistes parmi les partis constitutionnels, y compris les catholiques qui ne lui refuseront pas leur concours.

Mais ces partis d’ordre auront-ils une cohésion suffisante et le Gouvernement gardera-t-il leur appui dans toutes les circonstances ? M. Nitti assailli à sa gauche par les socialistes révolutionnaires doit encore se préserver à droite des attaques des impérialistes qui ont mis leur foi en M. d’Annunzio. C’est ce qui peut un jour rendre la situation du Gouvernement particulièrement grave. Il est rare qu’un Gouvernement résolu ne tienne pas tête aux partis révolutionnaires quand il a nettement avec lui toutes les autres forces du pays. Malheureusement, l’aventure de M. d’Annunzio a désorganisé des puissances morales et sociales qui sont d’habitude prêtes à défendre l’ordre. Quand M. d’Annunzio est allé à Fiume, il a commencé par avoir des admirateurs. La sensibilité et l’imagination agissent plus vite parmi les foules que la raison politique, et comment l’exploit très hardi du poète n’aurait-il pas soulevé toutes sortes d’émotions et d’espérances ? Si la tentative de M. d’Annunzio a été appréciée avec moins d’indulgence hors de l’Italie, c’est que, vue de loin, elle laissait beaucoup plus paraître les difficultés qu’elle préparait. Dépouillée de tout le prestige qui pare une audacieuse équipée, elle a semblé l’acte le plus contraire qu’on pût imaginer aux idées générales qui dirigeaient les négociations de paix. M. d’Annunzio, cédant à la véhémence de son désir, franchissait d’un coup toutes les règles formulées par les hommes d’État qui devaient lui paraître engourdis dans de trop sages préceptes : mais au fond, cette solution du problème par un acte énergique n’était qu’un appel à la force. Si elle ne donnait pas tout de suite de bons résultats, elle ne pouvait ensuite qu’en donner de mauvais. Le peuple italien ne s’y est pas trompé : invité à se prononcer au moment des élections sur la question de l’Adriatique, il s’est bien gardé d’en rien faire ; il a même paru éviter avec soin de manifester sur ce sujet. La nouvelle expédition de M. d’Annunzio à Zara a achevé d’éclairer l’opinion. Zara était occupée par des représentants de l’armée et de la marine italiennes, conformément aux décisions des Alliés. C’est dans cette Aille que d’Annunzio s’est rendu le 14 novembre avec ses troupes irrégulières. On ne s’est pas étonné de cette étrange initiative, puisque d’Annunzio ne croit pas que les lois soient faites pour lui. Ce qui a paru plus surprenant et plus déplorable, c’est que le vice-amiral Millo qui commandait la ville et qui avait toujours paru dans ses communications au Cabinet de Rome