Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/954

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trop pour un public simpliste ou insuffisamment informé. Ce malentendu, qui serait si sérieux, ne se produira pas, hâtons-nous de l’ajouter. Les faits finissent toujours par l’emporter sur les impressions et les raisonnements. La discussion du traité de paix aux États-Unis, malgré les difficultés et les obscurités de l’heure présente, aura un terme et, nous en gardons la conviction, une conclusion claire.

Dans le débat qui se poursuit à Washington, il existe deux éléments essentiels, qui sont d’ailleurs étroitement liés l’un à l’autre ; il y a, à propos du traité de paix, une question de politique intérieure, et une question de politique extérieure. Le président Wilson nous est apparu, ainsi que nos hommes d’Etat apparaissent sans doute aux États-Unis, comme le chef incontesté de la nation américaine. Nous ne nous sommes pas mêlés de savoir quelles étaient les forces respectives du parti qu’il représentait et de celui qui l’avait jadis combattu. Dans tous les pays, les hommes qui détiennent le pouvoir ont eu leurs amis et leurs adversaires ; mais dans tous les pays, ils représentent, quand ils sont au gouvernement, la nation tout entière. Or, M. Wilson, lorsqu’il a été élevé en 1942 à la Présidence des États Unis par le parti démocrate, s’est trouvé dans une situation toute particulière. C’était la première fois depuis vingt ans que le parti démocrate enlevait au parti républicain la première magistrature de l’Etat. Ces changements ne s’opèrent pas sans qu’il en reste bien des souvenirs et bien des oppositions. La guerre européenne a rendu plus délicate encore la position de M. Wilson. Il a été amené par les affaires internationales et par la nécessité de défendre la sécurité et l’honneur des États-Unis, à prendre des mesures que les républicains considéraient comme relevant de leur politique plus que de la sienne. Il leur a ainsi donné l’impression qu’il utilisait leurs idées et leurs forces sans reconnaître leur prévoyance. Lorsqu’enfin il a réussi, avec beaucoup de volonté, de suite et d’adresse dans les desseins, à faire comprendre à son propre parti le rôle, que l’Amérique devait jouer, lorsqu’il est entré en guerre, les États-Unis ont donné à leur représentant des pouvoirs illimités. La nation américaine s’est rappelé le mot profond du président Lincoln : « Il est douteux qu’une démocratie puisse conduire à bonne fin une grande guerre. » Faisant preuve d’une éducation politique très sûre, elle a tout remis dans les mains du chef de l’État. Le président Wilson s’est servi de sa toute-puissance : il a fait la guerre ; il a contribué à la gagner ; il a fait la paix. Il a agi seul, selon des idées généreuses sans doute, mais selon ses manières personnelles de penser, sans consulter les