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POÉSIES


LE VIEUX RONSARD


C’était un vieux Ronsard. Lorsque je sus bien lire,
Mon père, entre mes mains, le mit comme une lyre
Oh ! quel immense livre entre mes petits doigts !
J’épelais lentement les anciens caractères,
Leurs entrelacs touffus m’ombrageaient de mystère
Je me perdais en eux ainsi qu’au fond des bois.

Une odeur de forêt montait d’étrange sorte
De cette reliure aux tons de feuille morte,
Au dos rugueux et roux comme celui des cerfs,
A la tranche pourprée... — O soleil sur les sentes !
Une odeur de forêt montait, double et puissante
De l’aspect du vieux livre et du parfum des vers.

Pour la première fois, sous ta fraîche verdure,
Ronsard, j’ai vu l’amour aux pieds de la nature
Et l’ai, dans tes taillis, guetté, faunesse enfant ;
Pour la première fois en effeuillant tes roses
Je l’entendis gémir de ce que toutes choses
Subissent cette mort dont rien ne les défend...

Et pourtant les bourgeons tettent encor ta sève ;
Tu nous as couronnés des pampres de tes rêves,
Le chêne de Gastine a d’immenses rameaux ;
Et ton humaine et toujours jeune poésie
Retrouve à tout printemps l’allégresse et la vie ;
Avec les aubépins refleurissent tes mots.