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cent mille francs, ou quatre mille francs de rente !... C’est-à-dire que celui qui, pouvant obtenir ce résultat, s’y refuserait, devrait être mis aux Petites-Maisons. En une année, je répare tous les chagrins de fortune que j’ai eus et j’aurai un immeuble qui vaudra un jour cinq cent mille francs !

Tu auras toujours dans l’esprit une sorte de défiance contre moi, parce que j’ai mal commencé la vie. Tous mes malheurs sont venus de ma mère ; elle m’a ruiné, par le calcul et à plaisir. Voilà seize ans que je me débats contre l’horrible situation qu’elle m’a faite. Plus je t’explique cela, moins tu me sais gré d’avoir vécu, d’avoir payé, d’avoir fait une fortune. Ma fortune, c’est mon œuvre. Mon œuvre vaut un million, et elle le donnera. Malheureusement, il y a encore six ans de travaux pour la terminer.

Quand on vit perpétuellement chez soi, la première cause de bonheur est d’avoir un chez soi charmant et aimable. Or, c’est ce à quoi je pense. Tu es un peu follette, ma Minette, car si je ne bâtis pas en 1845, où logerons-nous en 1846 ?... Il faut dix-huit mois pour habiter une maison, dix-huit mois pendant lesquels elle sèche ; il faut qu’un hiver et un été y passent ! Or, le gros œuvre sera fait pour octobre ou novembre 1844. On passera l’hiver à la finir ; à peine pourra-t-on y demeurer en octobre 1846. D’ici octobre 1846, j’aurai bien largement payé tout ce que je dois, dettes et maison. Quant à la maison et au terrain, il faut payer immédiatement. Voilà pourquoi j’ai tant à travailler. Mais aussi nous avons (en vue), Claret et moi, une meilleure affaire que ce que je t’ai dit : nous allons acheter à Plon cinq arpents à quatre-vingt mille francs, avec la certitude de les revendre, aux clients de Claret, entre cent vingt et cent quarante mille francs. En sorte que, d’ici au mois de mars, nous aurons chacun notre arpent et notre maison, dans le sens le plus défavorable de la spéculation, et peut-être, dans le sens le plus favorable, chacun de l’argent et notre maison.

Nous ne courons aucun risque, car Plon est engagé à nous livrer les terrains, et nous ne serons engagés à les payer qu’au bout de trois mois, si nous les avons vendus, et nous pouvons résoudre le marché, si nous ne les vendons pas. Si nous ne les vendons pas, je reste avec un arpent à soixante mille francs. Si nous les vendons, c’est que nous avons eu des bénéfices.

Hier, Claret m’a dit avoir, dans ses clients, quatre arpents