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le caractère. Si toute révolution a pour programme final un changement de propriété, on peut dire qu’en ce sens chez nous la révolution est accomplie. La population des campagnes n’a aucune envie d’y rien modifier. Exception faite de quelques départements fort peu nombreux, qui se vantent d’être les plus avancés de France, le socialisme agraire, qui a été longtemps la préoccupation du parti unifié, est sans clientèle. De cet ensemble de circonstances, il est résulté qu’aux élections du 16 novembre, le socialisme a été nettement battu. De cent quatre sièges qu’il possédait dans l’ancienne Chambre, il a passé à cinquante-six. Les chefs les plus connus, les plus actifs et les plus audacieux, de M. Renaudel à M. Longuet, de M. Raffin-Dugens à M. Brizon, ont perdu leurs sièges. Encore les cinquante-six élus comprennent-ils les plus notoires des unifiés qui ont manifesté leur tiédeur à l’égard du bolchévisme et ceux qui étaient entrés dans les ministères de défense nationale. Dans un Parlement de 626 membres, le groupe socialiste ne sera plus qu’un petit groupe d’opposition. Souvenir de son erreur passée d’un côté, instinct de son erreur future de l’autre, telle parait être la double formule de son échec.

Après s’être détourné des partis extrêmes, à quels hommes le pays allait-il faire confiance ? Il trouvait dans tous les départements une liste d’union républicaine et nationale qui rassemblait des candidats ayant appartenu jadis à des partis différents, mais groupés par un sentiment commun de l’intérêt public. Cet accord marquait la fin des anciennes étiquettes et des vieilles querelles. La liste de Paris où se trouvaient à la fois le nom de M. Millerand et celui de M. Maurice Barrès a été un symbole. Il a paru qu’à des temps nouveaux il fallait des formations nouvelles. Les candidats inscrits sur une même liste acceptaient un programme commun qui mettait hors de la discussion la question du régime et les lignes essentielles du passé, mais qui définissait l’esprit dans lequel devaient être examinés les grands problèmes de demain : c’était, selon le mot de M. Maurice Barrès, une amitié où nul ne se dénaturait ni ne se diminuait. Dans la constitution de ces groupements nouveaux, on discerne assurément l’influence qu’a exercée le pouvoir personnel de M. Clemenceau, et l’appel qu’il a lancé de Strasbourg. Mais on aperçoit aussi une solution politique qui répondait à la nature des choses. Ii s’agissait d’abord de vaincre les partis qui représentaient des éléments de trouble et de décomposition, et il s’agissait ensuite de rassembler pour l’œuvre considérable qui reste à accomplir les bonnes volontés et les compétences. Cette discipline n’a pas été partout aussi strictement suivie