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plus de recul et que la vérité est plus libre de s’exprimer, à voir paraître un peu partout sur ces grands événements des détails défendus naguère par la raison d’État. Qui était ce prince, la veille encore ignoré du public, et dont la mort fut le prélude de l’universelle tuerie ? De quel prix était donc un sang qui devait être payé de tant de sang, et pour lequel deux grands Empires n’hésitèrent pas à déchaîner la plus terrible des aventures ? L’archiduc François-Ferdinand était une figure fort peu connue, même en Autriche. Il y jouait sans grand éclat le rôle d’un héritier collatéral qui n’était pas appelé par l’ordre naturel à succéder à la couronne, et du neveu qui remplace le fils de la maison. Il ne s’était fait remarquer que par une mésalliance qui était le plus maladroit des débuts dans la vie, et qui n’avait même pas, pour se faire pardonner, la grâce de la jeunesse et l’excuse d’être aimable. Il n’avait fait ainsi qu’ajouter à une position déjà fausse celle plus fausse encore d’un mariage morganatique. Nul mérite éclatant ne rachetait aux yeux cette double disgrâce. Le vieux souverain, très jaloux de son autorité, le tenait soigneusement à l’écart des affaires, dans une situation où l’héritier du trône demeurait incapable de lui porter ombrage. Il vieillissait ainsi dans un rôle effacé, d’où la prodigieuse longévité de l’Empereur semblait se faire un jeu de ne pas le laisser sortir. Vivant hors de la cour, où son mariage l’exposait à de continuelles avanies, retiré dans son palais du Belvédère ou dans son château de Konopicht, il n’avait guère d’autres fonctions que de représenter son oncle dans les cours étrangères, aux occasions qui exigeaient la présence d’un Habsbourg ; c’était un figurant pour cortèges de mariages et d’enterrements princiers. Une fois par an, il sortait de cette inaction pour les grandes manœuvres de l’armée dont il devait, le cas échéant, prendre le commandement comme feld-maréchal ; et c’est, en effet, à la fin des manœuvres de Bosnie qu’il fut victime, avec sa femme, de l’attentat qui, un mois plus tard, déterminait la guerre.

Voilà en peu de mots ce qu’on savait du personnage dont la mort, on le sentit tout de suite, devait avoir pour le monde entier de si funestes conséquences, comme si le coup imprévu qui abattait cet automate avait atteint, on ne sait comment, derrière la tapisserie, un second acteur plus important, et touché par hasard le ressort qui allait mettre en branle