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EDMOND ROSTAND

Il y a un an qu’Edmond Rostand est mort. Depuis un an, nous n’avons cessé de mieux comprendre l’étendue de la perte qu’a été pour les lettres françaises la disparition prématurée de ce poète enlevé dans toute la force de son beau génie. Si, au lendemain de sa mort, je me suis abstenu de parler de lui et de son œuvre avec quelque développement, c’est qu’en vérité devant la tombe fraiche ouverte de celui que j’avais connu presque enfant, je n’aurais su dire que mon affliction. Aujourd’hui, dans le recul d’une année, j’essaierai de le montrer tel qu’il m’apparait et d’indiquer la place qui lui appartient dans l’histoire de notre littérature.


I

La Provence nous l’avait envoyé. Elle avait mis en lui la douceur de son ciel clément, la tendresse de ses brises parfumées. Il était de la race de ces troubadours qui ont chanté l’amour courtois et rêvé de princesses lointaines. De Marseille, sa ville natale, il voyait les vaisseaux partir vers cet Orient pour lequel l’amour de Mélissinde faisait naguère s’embarquer Geoffroy Rudel. Du Midi provençal il avait encore la gaieté légère, un tour d’esprit gentiment railleur, un don d’apercevoir le côté plaisant des choses et de s’en amuser. Il avait ce goût de la galéjade qu’un autre Provençal a si bien noté chez ses compatriotes et chez lui-même. Il était du pays de Daudet. Il était de ces tambourineurs qui vont « jouant du triste et du gai tout ensemble. »

Et il était aussi de l’autre Midi, plus âpre, plus ardent, le Midi de Gascogne. Il a dit dans la « Maison des Pyrénées »