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LES LETTRES
DU CARDINAL MERCIER
AU GOUVERNEMENT ALLEMAND

Pendant les cinquante et un mois, si longs et si pleins, qui nous acheminaient à l’Arc de Triomphe, les Belges durent à leurs malheurs mêmes ce privilège unique, de pouvoir observer au jour le jour les étapes d’une autre victoire, remportée par l’Idée sur la force ; par la justice, sur la fausse légalité ; par la rectitude, sur la ruse ; par l’âme, sur la matière. A Bruxelles, l’Allemagne, armée d’un arbitraire absolu, décidée à n’user de la clémence que comme d’un moyen de règne, cruellement fière de pouvoir répondre aux résistances par la mort. A Malines, un vieillard, le cardinal Mercier, qui prenait sur lui-même, vis-à-vis du pouvoir occupant, tous les péchés faussement imputés à son peuple ; et qui, sans jamais se laisser humilier sous un tel fardeau, redisait sans cesse à l’Allemagne le caractère provisoire de son règne ; et qui appuyait ses protestations sur des principes éternels, antérieurs aux violences allemandes et destinés à survivre à toutes les philosophes d’outre-Rhin.

Le duel de ces deux puissances nous était connu, jusqu’ici, par certains cris de ralliement : lettres pastorales, discours épiscopaux, recueillis sous cet auguste titre : Per crucem ad lucem. Et nous avions joui, jusqu’au plus profond de nos consciences, de ces instants de revanche, qui ne laissaient pas prescrire les droits de l’âme humaine. Mais dans les intervalles, que s’était-il passé ? Quelles avaient été les besognes du cardinal ? Quelles avaient été ses angoisses ? Il nous semblait que ces lettres pastorales,