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a su mériter la parfaite confiance de nos alliés ; on l’estime particulièrement en Angleterre, ce qui n’est pas chose facile pour un ministre russe. Mais son optimisme ; son optimisme ! C’est là la seule chose que je déplore en lui et que je crains pour lui et pour nous tous ! — Vous venez de dire, mon cher ambassadeur, repris-je, que notre ministre juge parfaitement bien quand il juge lui-même et par lui-même. C’est absolument vrai. Mais pour se former un jugement sur la situation générale, il doit cependant considérer les avis de nos agents à l’étranger, — à commencer par les ambassadeurs ; si ceux-ci lui présentent les choses sous un jour favorable, il est tenu de les croire, à moins d’avoir des raisons sérieuses pour se défier de leur opinion. Puis à côté du ministre il y a toujours les bureaux. Et puis, surtout, il y a les ingérences de gens irresponsables et pourtant puissants, qu’il ne faut pas oublier !... — Ah oui, ces ingérences ! A qui le dites-vous ? » s’écria le vieil ambassadeur en levant les bras au ciel...

Et en effet, les rapports de nos représentants à l’étranger étaient bien peu alarmants à cette époque. Au mois de mars, — le 17 si je ne me trompe, — l’Ambassadeur de France à Berlin, M. Jules Cambon, écrivait sa fameuse dépêche qui était un cri d’alarme et qui prévoyait tout ce qui allait arriver ; cette pièce fut suivie par des rapports d’autres représentants français, rapports tout aussi prophétiques. Toutes ces dépêches figurent dans le Livre jaune français sur les origines de la guerre. On en chercherait vainement dans notre Livre orange ayant trait au même sujet. Il n’y en avait pas non plus dans les lithographies qui étaient communiquées aux représentants russes à l’étranger. Peut-être y a-t-il eu des lettres très confidentielles et qui n’ont pas été lithographiées. Mais alors pourquoi ne les a-t-on pas publiées dans le Livre orange, afin de faire voir au public la vigilance et la perspicacité de nos représentants aux postes les plus dangereux et les plus responsables ? — Tout cela constitue pour moi jusqu’à ce jour une énigme.


A. NEKLUDOFF.