Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/470

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

presque partout les écluses et les portes des mers et des continents ; vos navires sont maîtres des océans par leurs canons, des ports par leurs cales gonflées de marchandises. Et pourtant, laissez-moi vous le dire, tout cela ne serait rien si ce n’était que cela.

Ce qui rehausse tout cela, ce qui rend vraiment grande cette immense puissance matérielle, c’est qu’elle sert finalement de piédestal et de support à l’idée, à la pensée, aux grands hommes, honneur de l’esprit humain, qui ont vu le jour dans vos îles et y ont conçu et réalisé l’œuvre divine de leur cerveau. Ce qui fait que l’Angleterre n’est pas seulement une Carthage, une Tyr opulente, mais périssable dans l’histoire, c’est que, comme un arbre noueux que couronne la grâce sublime d’une fleur, sa richesse vient aboutir à la création de quelques grands hommes. C’est Newton et c’est Shakspeare, pôles immortels du génie humain.

Un jour, au début de la terrible guerre, l’ex-empereur Guillaume, dans une de ces harangues emphatiques qui lui étaient familières, a parlé avec mépris de votre nation de marchands, de « mercantis, » comme on dirait aujourd’hui pour mieux traduire sa pensée. Eh bien ! ce n’était pas vrai, c’était un grossier mensonge historique.

Je ne veux point parler de vos grands peintres, ni de vos grands écrivains dont les œuvres débordent d’un si puissant, d’un si poignant idéalisme : j’ai nommé Shakspeare et cela suffit. Par une étrange anomalie, — et qui constitue votre seule faiblesse dans l’ordre des choses élevées. — vous n’avez point produit de grands musiciens.

Mais quand on pense à la Science, maîtresse et reine du monde de l’idée et du monde de la matière, à la Science qui lentement soulève les voiles éternels et qui, — à un degré un peu moins noble, — asservit et captive les forces aveugles de la nature, comment ne pas admirer la floraison magnifique des génies que la Grande-Bretagne a produits, et qu’aucune nation ne dépasse, et qu’une seule égale : notre France ?

C’est votre Roger Bacon qui, dès le XIIIe siècle, pose les bases inébranlables de la Science tout entière et la délivre de la scolastique stérile. C’est votre Gilbert qui fonde l’étude du magnétisme terrestre. C’est votre Napier qui invente au XVIe siècle ce merveilleux instrument de savoir : les logarithmes.

Puis c’est Newton, le plus grand sans doute, dans l’ordre intellectuel, des fils de l’Angleterre, c’est Newton, Christophe Colomb de l’univers, qui fonde la mécanique, découvre la gravitation universelle, dissèque la lumière, invente le calcul différentiel et