Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/45

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’isoler l’Angleterre et de regrouper les Puissances européennes de façon à former une ligue continentale anti-anglaise ; un pareil regroupement avait été réalisé en 1895, lorsque la Russie, la France et l’Allemagne se réunirent pour présenter au Japon un ultimatum à la suite du traité de Simonoseki ; l’empereur Guillaume fut l’âme de cette combinaison hybride à laquelle la France ne se joignit qu’à contre-cœur, la Russie, d’une manière plus ou moins inconsciente, et dont l’Angleterre se tint prudemment à l’écart. Cette combinaison n’eut qu’une durée éphémère ; elle n’en produisit pas moins des résultats néfastes ; car c’est à elle que l’on peut faire remonter les causes premières des troubles qui eurent lieu en Extrême-Orient en 1900 et, par conséquent, du conflit qui suivit entre la Russie et le Japon. En effet, après avoir engagé une action diplomatique qui évinçait le Japon du continent asiatique, l’empereur Guillaume s’empara lui-même brutalement de Kiao-Tchéou et entraîna l’empereur Nicolas à se saisir de la péninsule de Liao-Toung avec Port-Arthur qui venait d’être arraché au Japon. Cet acte essentiellement immoral en lui-même excita un violent ressentiment tant parmi les Chinois que parmi les Japonais ; en Chine, il fut le point de départ du mouvement des Boxers qui amena les forces des Puissances à Pékin et servit de prétexte à la Russie pour occuper une partie de la Mandchourie ; au Japon, il exalta les sentiments de colère contre la Russie qui avait aidé à priver les Japonais du fruit de leurs victoires et le désir de revanche. Plus tard, ce fut encore sous l’impulsion de l’empereur Guillaume que l’empereur Nicolas s’engagea dans une politique active en Extrême-Orient ; on se rappelle le télégramme lancé par Guillaume II à l’issue d’une entrevue au large de Réval et dans lequel il saluait l’empereur Nicolas du titre pompeux, mais bien illusoire, d’ « amiral du Pacifique. »

Mais ce qui est bien caractéristique des méthodes de Guillaume II, c’est qu’au moment même où il poussait ainsi Nicolas II contre le Japon, il travaillait de son mieux à la conclusion de l’alliance anglo-japonaise qui fortifiait le Japon et augmentait les chances d’un conflit entre celui-ci et la Russie ; les papiers posthumes du comte Hayashi, signataire de ce traité, publiés en 1913 à Tokio, ne laissent aucun doute sur ce point. Il est d’ailleurs de toute évidence que l’Allemagne ne