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soir du Bain. Elle tirait de son corsage une piécette d’or toute parfumée… Lorsqu’elle s’aperçut que la mendiante était une belle jeune fille, aux traits pleins de grâce, et qu’elle venait de s’affaisser au pied de la fontaine, pâlie, toute grelottante, Lalla Zoulikha réintégra son aumône… Elle lui tendit seulement la main. Aïcha fit un mouvement pour fuir. Puis son regard rencontra celui de Lalla Zoulikha… Les beaux yeux verts frangés de cils noirs la retinrent. Il y avait en eux tant de bonté sincère, tant de douceur apitoyée, qu’elle n’eut plus peur soudain…

— Qu’as-tu ? lui disait cependant la mariée, tu es malade ?… Et pourquoi restes-tu là si tard, dans le soir humide ?…

En même temps, elle passa une de ses mains sur le front glacé de la Bédouine.

— Pourquoi, pourquoi, une gazelle comme toi, t’ont-ils oubliée sur les chemins ? Dis-moi, fille de nos pères… Tes parents, où sont-ils ? Dorment-ils ?…Ou, s’ils sont morts, qu’Allah leur accorde le pardon…

Aïcha avait baissé la tête. Elle n’osait prononcer une parole. Elle avait honte de sa gandourah des pauvres, honte de son voile usé, honte de ses cheveux en désordre. Elle se sentait toute mesquine devant la fille des Marabouts, au maintien et au langage si nobles, à la voix ensorceleuse… Elle comprenait à ce seul contact combien elle avait été loin de mériter, elle, ce nom de lalla du harem… Elle inclinait le front de plus en plus, elle ne saurait rien répondre à cette femme…

Lalla Zoulikha, toujours plus douce, tentait de nouvelles questions. Et comme Aïcha restait toujours sans répondre, timide et souffreteuse, elle n’hésita pas. Elle souleva son lourd seroual immaculé et s’assit auprès d’elle.

Les femmes de sa suite, qui s’étaient arrêtées sur la route pour l’attendre, s’écrièrent :

— Hé ! la mariée… Le soleil se couche et l’homme doit être à la maison…

— Oui, oui, leur répondit Zoulikha, je ne vais point tarder… Avec le pardon de Dieu, mes sœurs, devancez-moi…

Elles n’osèrent pas contrarier la fille des Marabouts. La laissant à sa charité, les lallate s’éloignèrent vers la maison…

Et voici que la fille des Marabouts, sans le savoir, par cette seule réponse venait de verser un baume sur la jalousie de la