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lant… » Et elle se consolerait, elle guérirait. Elle n’avait pu tenir sur son grabat jusqu’au midi. Aussitôt qu’elle avait vu le soleil dépasser le seuil du gourbi, elle s’était traînée sur ses genoux ; le cœur haletant, la gorge sèche, elle était parvenue à se hisser au grillage de la lucarne.

Il y avait plus d’une heure qu’elle attendait ainsi, lorsque Didenn sortit de sa maison. Oh ! l’instant béni pour la pauvre malade ! Des larmes de joie vinrent à ses yeux. Enfin, elle avait assez vécu pour revoir le bey à la face de bonheur ! Didenn, magnifique dans ses habits de noce, rasé de frais, la chéchia légèrement inclinée sur l’oreille gauche, descendit le petit sentier qui dévalait de leur demeure sur sa route. Sa démarche était celle d’un homme heureux. Toute sa personne respirait la félicité. Il fredonnait assez haut quelque chose comme le refrain de noces :

Prends ce que Dieu t’envoie, ô fils des heureux !

Il traversa le petit bois ombreux, passa près de la fontaine sans paraître avoir vu l’un et l’autre. Il allait droit devant lui, occupé visiblement d’une pensée unique : son bonheur légitime, le seul véritable, sa femme qu’il retrouverait ce soir, étincelante du bain de l’amour… Comme il arrivait en face du gourbi, il leva les yeux. Le cœur d’Aïcha cessa de battre. Elle crut qu’il allait appeler. Dans un dernier effort, elle se crispa toute, elle avança le cou en dehors de la lucarne.

— Didenn… Mon frère…

Mais lui avait déjà rabaissé les yeux et hâtait le pas vers la ville…

Elle le regarda s’éloigner sur la route. Sa poitrine cuisait sous la douleur. Les jambes lui fléchirent, elle s’affaissa sur le petit grabat de maïs comme un morceau de pâte.

Au même instant, des you-you éclatèrent. L’air s’emplit de chansons et de joyeux appels. C’était la mariée qui se rendait au bain avec ses compagnes. Les lallate sortaient à leur tour, se répandaient sur le chemin. Au loin, elles riaient, bavardaient gaiement, avançaient en entourant la mariée des mille taquineries flatteuses que ce jour exige. Elles passèrent tout près du gourbi… On entendit à travers le mur de toub le froufrou de leurs costumes et le cliquetis de leurs bijoux…