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prolongée dans une queue, vous arriverez après que le stock sera épuisé. On vous donnera l’assurance qu’il y en aura dans un délai de deux semaines ou plus. Votre certificat se trouve périmé et vous recommencez toutes vos démarches. Même histoire pour avoir une plume, un crayon, une aiguille à coudre, du fil, etc.

Où est le papier que vous achetiez si facilement avant la nationalisation ? Différentes hypothèses se présentent. L’agent préposé à la nationalisation est un bolchevik au petit pied, de l’espèce que j’ai décrite. Il a simplement volé une partie du stock pour le revendre sous main à un prix exorbitant favorisé par l’absence de papier sur le marché légal libre. C’est probablement l’hypothèse qui se présentera le plus souvent. Il se peut également que le papier n’ait pas été volé, mais vendu à la clientèle qui vous a précédé. Votre ancien fournisseur était intéressé à compléter son stock le plus vite possible ; mais le fonctionnaire qui gère le stock ne l’est pas du tout. S’il est zélé, il entrera en correspondance avec un bureau central quelconque et réclamera de nouvelles marchandises. Mais la correspondance administrative traîne, même dans un Etat socialiste. Et puis, des questions de principe peuvent se poser au bureau, et alors c’est la fin de tout espoir de pouvoir toucher votre papier à lettres. Imaginez seulement que le bureau ait la prétention de procéder d’une façon logique : il devra alors faire l’inventaire de tout le papier à lettres de toute la Russie, puis établir un plan de distribution entre cent millions d’hommes et le distribuer conformément au plan. On peut être certain de n’avoir jamais le papier souhaité, car, enfin, le régime bolchéviste ne pourra durer toujours.

Il se peut aussi que les stocks manquent et que les fonctionnaires les plus zélés et les plus intègres, préposés au commerce national, n’y puissent porter remède. La difficulté gît dans l’insuffisance de la production.

L’industrie est nationalisée. L’ouvrier, devenu fonctionnaire, touche une solde fixée par l’Etat. Il n’est pas intéressé à la production et le seul motif qui puisse le faire travailler avec zèle est la conscience de son devoir social. Les faits prouvent que c’est insuffisant. Au patron qui était intéressé à voir la production continuer, est substitué un bureau avec une légion de fonctionnaires. Le bureau est composé d’un certain nombre