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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




C’était une bonne précaution d’avertir qu’il ne fallait pas parler trop légèrement de ce qu’on a appelé, au début, « l’équipée de Gabriele d’Annunzio, » et que « l’incident de Fiume » contenait une haute dose à’italianité, qui ne pouvait que s’accroître, à mesure que les jours passeraient. Par ce mot « italianité, » il convient d’entendre non seulement le caractère spécifiquement italien de l’acte, semblable à tant d’autres dont le xve et le xvie siècles, en Italie, furent remplis, mais autre chose encore que nous allons essayer de marquer. Très loin par delà Garibaldi, Gabriele d’Annunzio rejoint dans la tradition nationale les grands condottieri preneurs de villes et fondateurs d’États, presque toujours précaires, d’une durée bornée à la durée de leur vie, elle-même presque toujours précaire et continuellement menacée. En ce sens, il serait à peine excessif de dire qu’il vient de ressusciter dans le monde moderne le type du Principe nuovo, avec cette différence capitale qu’il ne travaille pas pour son compte, mais pour la grandeur de son Roi et l’agrandissement de l’Italie unie, Comme Garibaldi, et plus que Garibaldi même, il crée ainsi une espèce de condottiérisme désintéressé. Ce condottiérisme, en outre, est littéraire, ou du moins tout imprégné et enveloppé de littérature de poète et d’humaniste, animé de l’esprit et du sentiment antiques : Stabit vetus memoria facti. De là, l’ampleur du geste sur l’horizon latin et la force d’imitation qu’il a immédiatement déchaînée. De là aussi, son accord intime avec l’âme d’un peuple à peu près entier. La fameuse « mégalomanie » de Crispi ne fut possible, il y a une trentaine d’années, que parce que toute l’Italie voyait grand. De même, le dessein de Gabriele d’Annunzio n’a été réalisable que parce qu’il a trouvé ou parce qu’il a mis la volonté de l’Italie au pair et à l’unisson de la sienne, parce qu’il en a recueilli les aspirations éparses et leur a brusquement donné une expression nette et violente ; parce qu’il a su