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que soulevaient parmi nous ces graves problèmes. Sans Joule, Ludendorff se trouva presque continuellement en présence de tâches énormes. Trois ou quatre fois de suite, dans des circonstances terribles, il tira l’Allemagne de situations désespérées : à Tannenberg, puis encore en 1916 après les offensives de Galicie et de la Somme, en 1917, devant les offensives de Haig et de Nivelle. Il mena l’armée allemande à Varsovie et à Riga, aux portes de Venise, d’Amiens, de Calais et de Paris. Il sembla plus d’une fois que le succès définitif ne tînt qu’à l’épaisseur d’un fil. Il est toujours curieux de voir le vaincu refaire après coup sa bataille, se dire : « Si pourtant nous avions eu telle chance !... Si tel contretemps ne s’était pas produit !... » A l’attaque du 21 mars, c’est la IIe armée qui ne débouche pas ; à celle du 27 mai, c’est la division de droite qui, au lieu d’obliquer à l’Ouest et d’enfiler la route de Compiègne, fonce droit devant elle en négligeant Soissons. Et ce sont encore des faits de bien moindre importance : c’est un lieutenant de pionniers qui traverse la Marne à la nage et va se faire prendre avant l’attaque du 15 juillet ; c’est un officier d’artillerie fait prisonnier, qui « cause » trop et mange le morceau ; ce sont les bavardages stupides de l’arrière, l’imbécile « vantardise » et la niaise « expansion » allemandes qui proclament huit jours à l’avance qu’on sera le 1er août à Paris.

Nous savons tous le rôle de ces accidents dans le sort des batailles : ce sont les chances de la guerre, et nous avons nous-mêmes eu notre part des mauvaises. Il est tentant de résoudre l’histoire dans cette menue poussière de hasards impalpables, qui échappent à toute prévision, et qui sont le refuge assuré du plus faible. Mais on sent que ces raisons, bonnes pour expliquer une bataille, ne valent plus rien, dès qu’il s’agit du sort de toute la guerre. On ne rend pas compte des grands faits par les infiniment petits. Au total, ce sont des choses qui s’équilibrent des deux côtés. L’Allemagne, tout compte fait, a eu autant de chances que nous à son actif : ces chances lui ont paru favorables, puisque c’est sur ce calcul qu’elle a pris sur elle d’engager la guerre. Elle l’a perdue. Pourquoi ?

Là-dessus Ludendorff, propose cent explications. Il accuse le gouvernement, la diplomatie, les alliés, le blocus, la disette, les socialistes, la propagande ennemie, la révolution, le bolchevisme,