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LE SOUVENIR
DE
SAINTE-BEUVE

Il est des anniversaires qui n’ont guère qu’un intérêt historique. Le souvenir de Sainte-Beuve, que ramène le cinquantième anniversaire de sa mort, a une portée d’application tout actuelle. Dans cette maison qu’il a illustrée par sa collaboration et où il a, par ses conseils et ses exemples, mis en honneur une certaine conception de l’œuvre littéraire qui est demeurée la nôtre, ce souvenir est resté peut-être plus vivant qu’ailleurs. A une heure où tout se transforme profondément, la littérature comme le reste, où l’opinion publique et les écrivains mêmes cherchent des guides et des points de ralliement, il est opportun de restituer la physionomie de Sainte-Beuve, de rappeler le rôle qu’il a joué dans l’histoire des Lettres françaises, la tradition qu’il a créée, et dont la nécessité et la vitalité se font aujourd’hui plus que jamais sentir.


Sainte-Beuve est éminemment un essayiste. Il l’est jusque dans son Port-Royal qui, à le bien prendre, n’est qu’une suite d’essais sur l’histoire du jansénisme. Il aimait cette manière modeste, discrète de traiter un sujet, même depuis longtemps familier, sans prétendre à l’épuiser, et qui admet les retouches, les indécisions, les digressions, les aperçus en tous sens, toutes les libertés vivantes de la conversation entre « honnêtes gens. » Dès ses premiers articles au Globe, il s’orientait visiblement vers cette sorte d’écrits, dont la souple tradition remonte, de proche en proche, jusqu’à Montaigne, et qui devait lui fournir